Que peut Martelly pour Haïti ?

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La Rédaction

MONTRÉAL – Ligoté, dès le premier jour, par ses promesses mirobolantes, le tout nouveau chef d’État d’Haïti, à en croire les plus sceptiques, va tout simplement ajouter son nom, à titre de 56e président, au triste et long palmarès connu des leaders haïtiens incapables de se vanter de leurs réalisations.

Toutefois, prévient l’ex-directeur de la salle des nouvelles de la radio haïtienne de Montréal (CPAM), Garoute Blanc,  » c’est précisément au contact de la réalité que l’individu se révèlera ou pas un homme d’État digne de ce nom. « 

Dans un texte soumis par ce dernier à la rédaction de l’Agence de presse Médiamosaïque, il conseille vivement à ce chanteur devenu président de  » s’entourer de gens de niveau et de qualité pour apprendre son nouveau métier et pour ne pas décevoir « .

Ci-dessous, la version intégrale de cet article:

 

Que peut Martelly pour Haïti ?

Par Garoute Blanc

« Dans les républiques, le peuple donne sa faveur, jamais sa confiance .» Antoine Rivarol

On le savait populaire, mais personne ne pensait que Michel Martelly, l’illustre et licencieux chanteur pouvait transposer sa popularité de la scène musicale à la sphère politique. Quand il a fait acte de candidature, d’aucuns croyaient, qu’il s’agissait là encore d’une de ses nombreuses provocations comme du temps où il s’autoproclamait président du Konpa. Cependant, dans une campagne électorale somme toute remarquablement menée, il a su, à la stupéfaction générale, incarner le rêve de changement du peuple haïtien en attaquant avec force le système inique d’exclusion ainsi que la gestion désastreuse de René Préval, son prédécesseur. Aujourd’hui, fort des 67% des suffrages exprimés, Martelly fait l’histoire. La fiction devenant réalité, il a prêté serment le 14 mai écoulé en tant que 56e président d’Haïti et souhaite même de grandes choses pour son pays.

Pour avoir subi une double tentative de ravissement de la victoire et au premier et au second tour de la présidentielle, Martelly a dû une fois pour toutes réaliser que la politique n’est pas un monde de bizounours et de guignol. Comptable désormais du bien-être de la population haïtienne qui a espoir en lui et envers laquelle il est redevable, il a donc l’obligation de prendre son rôle au sérieux, de se mettre à la hauteur de ses nouvelles responsabilités et prouver qu’il n’est pas un farceur de plus, à l’instar de ceux qui se sont globalement succédés depuis 1986 à la tête de ce pays. Ses mises en garde lors de son discours d’investiture, plutôt un tantinet musclé, semble illustrer sa pleine conscience de la complexité de l’exercice du pouvoir. Tous ceux qui ont commencé à lui savonner la planche, à lui mettre des cailloux dans la chaussure, à vouloir lui définir un agenda, tous ceux qui sont à l’œuvre pour le « upgrade », le charger, le programmer et le faire fonctionner comme un vulgaire clone de Jude Célestin ou une Mme Manigat pour l’INITE dans la continuité ; tous ces cloportes qui ne comprennent que le langage des visas US révoqués ont dû se reconnaitre à travers les avertissements du président élu relatifs au blocage institutionnel et au kidnapping, la marotte des professionnels de la déstabilisation et des coups de Jarnac.

En effet, l’amendement constitutionnel et la caution intellectuelle de constitutionnaliste qui enfume l’opinion d’arguties – méthodiquement dénoncées et démontées par Berrouët-Oriol  – ; le flagrant délit des 19 postes de parlementaires non-élus, et plus généralement tous ceux-là qui se sont octroyés une prime à la casserole par le truchement du Conseil électoral provisoire, à défaut d’électeurs, et qui remplissent le parlement ; tout cela, y compris la panne d’électricité le jour de la prestation de serment du nouveau président, semble faire partie de la manœuvre de plomber le mandat de Martelly. Certes, depuis Montesquieu, il est admis que le pouvoir arrête le pouvoir, qu’une opposition forte et responsable est signe de bonne santé de la démocratie, mais que vaut un contrepouvoir dans un système démocratique quand il est usurpé et fondé sur la magouille  et la triche?

 

Le changement à l’épreuve

Disons d’emblée que l’on ne rasera pas gratis demain dans la République de Martelly et, ce, même en faisant abstraction de ce qui précède qui est, néanmoins, il faut  bien le reconnaitre, une addition très lourde à une réalité qui demeure on ne peut plus difficile. Car les promesses durant les élections sont tellement élevées que, par définition, il est difficile de les respecter toutes. Il y a, en effet, ce que l’on dit dans une campagne devant des foules excitées et ce qu’objectivement l’on peut faire. Ne nous illusionnons pas, ne nous attendons pas non plus à des miracles, a fortiori, dans un contexte international des plus moroses. Haïti, loin d’être un cadeau, est un véritable écheveau de défis structurels et institutionnels, sans compter les tempêtes, au propre et au figuré, que le nouvel élu aura à essuyer. Voilà que l’on agite déjà la question de couleur, l’on va sans doute continuer à se déchirer sur le choix du premier ministre désigné, M. Daniel-Gérard Rouzier, qui symboliserait, dit-on, « la revanche des mulâtres ».

Dans une  société aussi clivée, comment Martelly va-t-il opérer et faire déboucher son  quinquennat sur des résultats concrets,  comme il l’entend ? Comment dégagera-t-il une  majorité au Parlement pour l’aboutissement de ses politiques, sans aliéner ses convictions, vu que son parti « Repons peyizan » n’a que trois élus ? Avec quelle équipe et quelles personnalités compte-t-il diriger? Saura-t-il limiter les appétits gloutons des prédateurs, des vautours et des rapaces des réseaux nationaux et  internationaux prêts dans leur starting-block  et qui n’attendent qu’une occasion pour lui sauter dessus et lui faire avaler tout et n’importe quoi ? Aura-t-il assez de caractère pour négocier des avantages pour son peuple et continuer à mériter sa faveur ? Martelly, pourra-t-il imprimer à son mandat des actes qui tranchent avec un passé de corruption, d’impunité, de chasse aux sorcières et instituer un système de justice susceptible d’avoir l’acquiescement populaire, montrant ainsi que le changement, thème mobilisateur de sa campagne, n’est pas qu’un vocable dans la bouche d’un candidat devenu président qui n’en comprend ni la portée  ni le sens ?

S’il veut vraiment faire des enfants à l’histoire, Martelly devrait apprendre du passé, comprendre les ratages successifs des uns et des autres pour ne pas tomber dans les mêmes travers et savoir que les rustines ne règlent pas les problèmes de fond. Prendre les mêmes et recommencer ou retaper le dépanneur pour vendre les mêmes produits, cette logique a longtemps prouvé ses limites et son échec. Il faut de préférence un système qui offre au pays, à ceux encore sous les tentes, 16 mois après le séisme du 12 janvier et aux pauvres hères dont la vie est réduite à rien, autre chose que cette angoisse permanente de l’instant et du lendemain. C’est un devoir moral et éthique que d’en finir avec ce mépris des gens de peu et de faire triompher la vie sur la mort. Martelly avait l’occasion de présenter les lignes d’action de son mandat en rapport avec ses objectifs, lors de son adresse à l’occasion de son installation, il n’en a dit mot ; peut-être laisse-t-il les contours. Mais la certitude, et le président le reconnait lui-même, c’est qu’il ne pourra rien tout seul. Dans ce cas-là,  il devrait déverrouiller l’espace politique, inviter les Haïtiens à la même table pour discuter, en convoquant enfin la tenue d’un vrai débat citoyen.

 

Mettre le pays en atelier

M. Supplice, conseiller politique de Michel Martelly, disait vouloir  confier justement le dossier de la conférence nationale à l’ex-Sénateur Turneb Delpé. C’est peut-être le moment de passer de la parole aux actes, en espérant que ce ne sera point une manière d’enterrer le sujet, mais au contraire la traduction de la volonté affirmée du Président Martelly d’en faire une priorité. Ce serait l’occasion où tout le monde, sans exclusive – élus, notables, partis politiques, société civile et diaspora – viendrait échanger, confronter, débattre de ses idées sur les fondamentaux de la nation afin de trouver ensemble, loin du bavardage inutile, les sorties de secours à notre blocage et à notre pesanteur de peuple. De ces assisses nationales devraient sortir une vision d’où découlerait un projet mis en programme pour au moins les 25 prochaines années et dont les premières mesures réalistes et hiérarchisées auraient un début de mise en œuvre sous le gouvernement à  venir.

Ces derniers temps, il y a eu un gros effort théorique consenti  tant par les Haïtiens du dedans que ceux du dehors pour (re)penser,(re)fonder ou(re)construire le pays, ce sera le moment de verser au débat tous ces documents, (cahiers, livres, rapports, études) qui prennent de la poussière sur les rayons et toutes ces propositions dont on ne se souvient plus, pourtant rédigées il ya peu dans la douleur, l’insomnie et la migraine. La tenue d’une conférence nationale permettrait également de faire parler, d’intégrer et d’embarquer les 70% d’abstentionnistes des dernières élections et d’asseoir une légitimité encore plus grande pour des négociations avec plus d’assurance et moins de complexes avec l’international, une manière de réintroduire un peu de dignité dans les relations entre l’État haïtien avec ses partenaires, comme un premier acte dans la bataille de recouvrement de notre  souveraineté  perdue.

Évidemment ceux qui ont commis des crimes de sang et des crimes économiques, comprendront que la République ne puisse être clémente envers les assassins et les prévaricateurs. Autrement, ce serait la porte ouverte à toutes les dérives ; les fossoyeurs et les agenouilleurs de ce pays pourraient faire à leur guise et tout en étant sûr d’être demain amnistiés. On ne peut plus être dans la ritournelle du « peyi-a se pou ou, kalé b… jan ou vlé (les choses et gens du pays sont à vous, faites à votre guise (Ndlr)!». Chacun doit porter le fardeau de ses fautes et de ses forfaits. Quand l’ex-président Aristide dit qu’il faut en finir avec l’exil  et les coups d’État, on trouve dommage qu’il oublie d’ajouter l’impunité. Or, s’il faut bien regarder vers le futur, ce n’est  certainement pas en trainant  les mêmes vieilles  casseroles.


Arrêter de creuser pour sortir du trou

Dans ce pays en urgence humanitaire, la Présidence doit, avec son gouvernement, se mettre très vite au travail et montrer, dans un style de gestion autre, que l’on n’est plus dans le logiciel à la petite semaine et de la conduite des affaires publiques au profit de quelques particuliers. Car, il est  scandaleux que ce soit  toujours ceux d’en bas qui se serrent la ceinture quand il y a des sacrifices à consentir, tandis que les dirigeants s’en mettent plein les poches. Aussi, il serait contre-productif, sous prétexte d’idéologie et de dogmatisme, de rester peinard dans sa petite niche d’ONG à jouer les Cassandre et se tenir en réserve de la République. Martelly l’a dit, son échec sera celui du pays et là-dessus, il n’a pas tort. Si nous ne faisons rien maintenant, peut-être dans cinq (5) ans, il sera trop tard. Le patriotisme, pour le moins chaleureux, dont il fait montre doit se traduire en actes durant son mandat. L’on devrait s’assurer qu’il ne se coupe pas du peuple, qu’il réponde effectivement à ses revendications et qu’il crée des espaces d’ouverture, de discussion et de défense des idées de progrès. La prochaine rentrée scolaire constitue la première échéance importante de sa présidence, puisque l’on pourra juger les premières mesures de son engagement en ce qui concerne la scolarisation des 500 000 enfants, il faudrait sans cesse le lui rappeler.

Il est vrai, par ailleurs, que certains continuent à dire que Martelly n’est pas à sa place, oubliant presque qu’il a été élu, comme s’il y avait quelque institut qui apprenait à devenir président. Alors que c’est précisément au contact de la réalité que l’individu se révèlera ou pas un homme d’État digne de ce nom. Il n’empêche qu’il sera épié, jugé, scruté. Tout ce qu’il fera sera interprété, décodé, décortiqué. Il sera toujours sous le radar et dans le viseur de la critique de ceux qui voudront le descendre au premier faux pas. Tout le monde attendra ses premières gaffes, ses premiers excès, ses premières extravagances pour pouvoir dire « voilà, on vous l’avait dit…il fallait s’y attendre ». Peut-être à ce titre-là, sera-t-il le président le plus surveillé de toute l’histoire d’Haïti. Il sentira toujours les regards posés sur sa personne, sur ses faits et gestes. Connaissant sa part d’ombre et ses insuffisances, ses fans et ceux qui l’ont voté l’encourageront et prieront pour que rien de tout cela ne l’intimide dans l’exercice de sa fonction. Et lui, sachant le devoir d’exemplarité d’un chef d’État, continuera-t-il, sans doute, à s’entourer de gens de niveau et de qualité pour apprendre son nouveau métier et pour ne pas décevoir.

Saint-Just disait que « Tous les arts ont produit des merveilles. Seul l’art de gouverner n’a produit que des monstres », devrait-on, dès lors, craindre pour l’ex-chanteur, craindre que le Président ne se métamorphose…en chimère ?

garoub@yahoo.fr
Cadillac 22 mai 2011

 

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