La nature de la crise au Mali (DEUXIÈME PARTIE)

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MONTRÉAL – Ci-dessous la deuxième partie de la réflexion du professeur Boniface Diarra autour de la crise qui secoue le Mali.

La nature de la crise au Mali (PREMIÈRE PARTIE)

SOLUTION A LA TRAGEGIE MALIENNE
(DEUXIEME PARTIE)

PAR :   Diarra Bakary N’Badiallah (BONIFACE)

Éviter absolument le cancer de l’internationalisation de la crise malienne dans la recherche d’une solution viable et durable

Je ne connais guère de malienne ou de malien qui ne se soit pas senti humilié d’avoir assisté impuissant, en trois jours, à l’usurpation de près des 2/3 de l’espace territorial du pays par des bandes armées, semant la terreur parmi la population. Ce sentiment  d’humiliation est d’autant plus profond encore chez des compatriotes, qu’après cinq (5) mois d’usurpation territoriale, des sites historiques du pays sont profanés et détruits par des fanatiques religieux à Tombouctou le 20 juin 2012, comme argument des Ançar Eddine d’Iyad Ag GHALI deux jours après l’amorce, le 18 juin 2012 à Ouagadougou, des négociations avec le Médiateur de la CEDEAO Blaise COMPAORÉ. Ces profanations et destructions abominables ne sont pas que des crimes de guerre. Ils constituent  également des atteintes très graves contre la mémoire collective des peuples africains que certains voudraient effacer  complètement, pour donner ainsi force probante à l’assertion nihiliste voulant que les peuples africains ne soient pas rentrés dans l’histoire. Ces actes répréhensibles ont évidemment semé autant l’émoi en Afrique que dans le monde entier. Au Mali, pays directement victime, l’exaspération est toujours à son comble. Elle a fait naître dans les cœurs le désespoir et la haine. Des sentiments qui ne sont pas de nature à conduire à une solution raisonnable et durable. Pour arriver à une telle solution, il vaut mieux transcender ces sentiments sur lesquels rien de durable ne peut être construit et s’attacher à bien connaître la nature de la crise au Mali avant de vouloir lui trouver une solution définitive.

La nature de la crise au Mali

La tourmente belliciste qui affecte le Mali, contrairement à ce qu’en disent les dépêches de la presse euro-occidentale ne consiste pas en une guerre interconfessionnelle, en un conflit armé entre sédentaires et nomades, encore moins en une guerre pour l’autodétermination des populations touarègues subissant le colonialisme interne de l’État malien. Des manchettes de la presse écrite ou de la presse audio-visuelle comme par exemple : « Les armes et les hommes en provenance  de Libye renforcent la rébellion au Mali », « Intensification des combats  au Nord du Mali entre  militaires et rebelles touaregs du Mouvement de Libération Nationale de l’Azawad (MNLA)» ou, encore, « Des combattants  touareg venus de Libye attisent la violence au Mali », etc. visent à camoufler la vraie nature du conflit armé qui sévit en République du Mali.

Ce qu’il ne faut point oublier, c’est que les nouvelles diffusées dans le monde entier sont essentiellement usinées  par « Agence France Presse  (AFP) », par « Associated Press », par « Agence Reuter », par « Deutsche Presse Agentur », par « BBC News » et par « Radio France internationale (RFI) ». Ces agences qui sont essentiellement celles des pays du monde euro-occidental ou des États militarocratiques surarmés de l’ « Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) », disposent des moyens de déploiement impressionnants. Elles ont partout des bureaux et des correspondants régionaux, voire nationaux. À l’âge de l’information continue, elles répètent en boucle et font répéter continuellement, par des médias secondaires, la même nouvelle fabriquée. Aussi arrivent-elles aisément à irradier l’ensemble de la planète Terre, du point de vue des pays de l’OTAN sur une question déterminée. Ce point de vue paraît d’autant plus vraisemblable que les interlocuteurs crédules croient, à force d’affirmations, en la « liberté de la Presse ». Il ne faut donc pas s’étonner que le tapage médiatique sur la crise au Mali soit globalement le point de vue euro-occidental. Il  n’y a rien d’étonnant en cela puisque c’est RFI et France 24 qui ont été les premiers à profiter du fait que le porte-parole du MNLA était hébergé en France.

N’en déplaise donc à ces Agences d’information à portée mondiale, la nature de la crise actuelle au Mali ne correspond pas au contenu de leurs  dépêches. Elle s’inscrit plutôt dans un vaste programme de déstabilisation en cours en Afrique et dont la finalité, à long terme, est la dépossession territoriale des Africains et leur anéantissement démographique par substitution progressive et méthodique de populations.

Ce point de vue que d’aucun s’empresserait de trouver très alarmiste, paraît tellement invraisemblable, intelligence du temps oblige, que l’humanité du troisième millénaire n’est pas celle de la Renaissance où, en effet, les monarchies ouest-européenne pratiquèrent, au détriment des peuples d’Amérique, d’Australie et de la Nouvelle Zélande notamment, le colonialisme radical. Le monde ayant effectivement changé apparemment, les outils du colonialisme ne sont pas forcément ceux du néocolonialisme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle aux guerres interétatiques se substituent de plus en plus les guerres privées, au fur et à mesure que l’État, concurrencé par les firmes multinationales très influentes, condamnent les Chefs d’État et de gouvernement à la domesticité et les obligent à mettre les moyens de l’État au service des intérêts économiques et financiers du capitalisme rentré dans sa phase de décadence.

Il faut se souvenir précisément que chaque fois que ce capitalisme s’est trouvé en crise, le monde euro-occidental dont il sert essentiellement les intérêts, ne fait pas preuve d’imagination pour trouver une solution. L’aventure belliciste a toujours été la recette favorite pour exclure le concurrent militairement moins armé de l’accès aux ressources. C’est dans ce contexte qu’il faut donner une lecture à la situation au Mali et en Afrique en général dont les richesses font l’objet de convoitises au moins entre trois acteurs principaux : des États de l’Union européenne, les États Unies d’Amérique et la Chine en phase de vassaliser l’économie mondiale et contre laquelle les deux premiers protagonistes, faute de pouvoir l’affronter directement militairement, pour ne pas s’anéantir mutuellement, mènent contre elle une guerre indirecte en Afrique et ailleurs dans le monde, en s’efforçant d’y réduire son influence croissante. C’est dans le cadre de cette réduction que l’établissement d’une base permanente à l’usage des pays de l’OTAN est devenu, pour eux, nécessaire au Nord du Mali, à la fois très riche et très stratégique, d’où ils pourraient accélérer le changement de régime en République Démocratique Algérienne et au Soudan, où ils n’ont pas pu faire souffler le vent du « Printemps arabe » pour emporter l’enthousiasme d’y accommoder l’intérêt chinois.

Victimes des manipulations des services spéciaux euro-occidentaux et, notamment, français, infiltrés à la fois en Libye et au Mali, des combattants touaregs, sans doute à cause de l’indigence en lecture géostratégique, troquèrent leur soutien à KHADAFI contre la transformation du projet colonial français de création de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) datant de 1957 en un projet de sécession de l’Azawad en agressant le Mali sous la bannière du MNLA. Devenant ainsi, consciemment ou inconsciemment avec ses complices Ançar Eddine submergeant le mouvement indépendantiste, le bras armé de la nouvelle guerre de l’OTAN et d’AFRICOM pour le contrôle des richesses africaines : la guerre privée!

Cette nouvelle forme de guerre sert en Afrique à Camoufler les forfaitures des entreprises « transétatiques » contre l’intérêt  des peuples. Ayant généralement réussi à infiltrer les structures étatiques et les organisations interétatiques, ces entreprises amènent les États sous leurs influences et, partant, les organisations interétatiques  à agir en leur lieu et place. Il suffit, pour s’en convaincre  de se rappeler le processus d’accession de Mobutu Sese SEKO (1930-1997) au pouvoir au Congo de domination belge sur la dépouille de premier Ministre Patrice LUMUMBA (1925-1961) assassiné  et, plus spectaculairement encore, la tentative de recomposition du pouvoir marquant l’arrivée triomphale de Joseph Désiré KABILA (1939-2001) père à Kinshasa à la tête des troupes insurrectionnelles avant son assassinat le 16 janvier 2001. Dans le sillage de ses troupes, tout comme dernièrement en Libye après l’assassinat du Colonel KHADAFI le 20 octobre 2011, suivaient la meute d’entreprises minières euro-occidentales flairant du Nord au Sud toutes les ressources disponibles sur le territoire congolais et libyen et signant des contrats léonins  avec les tombeurs de MOBUTU (1930-1997) et du Colonel KHADAFI (1942-2011). À travers ces assassinats, se profile la nouvelle version du « scramble » en Afrique, c’est-à-dire l’invasion des entreprises des États militarocratiques, assumant désormais sans complexe que les ressources des États militairement faibles d’Afrique leurs reviennent de droit et qu’elles peuvent les prendre ou les exploiter comme elles veulent, quand elles veulent et où elles veulent sans avoir  à demander la permission de qui que ce soit ou de payer quoi que ce soit en compensation. BOKASSA, J.-B. (1921-1996) l’Empereur déchu de la République Centrafricaine en témoignait avant son assassinat.

Pour ne pas avoir de compte à rendre, les entreprises transétatiques organisent l’accession au pouvoir de leurs hommes de main dans des États africains par la fraude électorale, le cas échéant, par l’intervention armée. C’est en cela précisément que l’on comprend aisément la prolifération des guerres fratricides dont la flamme embrase constamment l’Afrique depuis les indépendances formelles des années 1960. Allumée, entretenue et attisée par des entreprises privées, la permanence de l’incendie belliciste est assurée aussi par la nécessité de rentabiliser le trafic des armes. Des entreprises, peu scrupuleuses, n’hésitent d’ailleurs même plus, à la lumière d’immenses problèmes sociaux qui assaillent une large frange de la population africaine, à susciter des rébellions ou à recourir à des mercenaires,  pour ne pas dire des voyous de tous acabits, comme en Sierra Léone et, présentement au Mali, en République Démocratique du Congo et en Centrafrique, pour affaiblir les États africains avec lesquels elles doivent parfois négocier pour avoir accès quasi libre aux ressources tant convoitées. Pour contrer ces guerres privées et notamment celui qui sévit au Mali, la faute politique majeure serait l’internationalisation de la tragédie, car cette internationalisation aboutira à cancériser la crise plutôt qu’à la résoudre. La voie diplomatique bilatérale paraît à cet égard la voie royale.
La voie diplomatique bilatérale pour éviter le cancer de l’internationalisation de la crise au Mali.

À partir du constat que nous venons de faire à l’effet que le conflit armé au Mali rentre dans le cadre des guerres privées, il s’en suit qu’il n’existe aucun colonialisme intérieur oppressant la population touarègue au Mali. Cette population qui n’est d’ailleurs pas homogène, n’est pas l’ennemie du Mali. Dans sa large majorité, y compris la chefferie traditionnelle, il s’agit des personnes qui se sentent parfaitement maliennes. Il faut donc éviter l’amalgame et faire comme si Touaregs et bandes armées au Nord du pays se connaissent. Les bandes du MNLA ne doivent donc pas être assimilées à la population touarègue.

Autrement dit, les membres du MNLA, victimes de la manipulation « sarkhozienne », ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population touarègue. La proclamation de l’indépendance portée à la connaissance de l’opinion publique par la voix de son porte-parole, Mossa Ag ATTAHER le vendredi 6 avril 2012 à la chaîne de télévision française « France 24 », est fantaisiste. C’est la raison pour laquelle aucun État ne reconnaît un pays qui s’appellerait Azawad.  Même pas la France qui, en dépit du fait qu’elle héberge et donne de la visibilité aux agresseurs armés du Mali, n’a pas osé franchir ce pas. En tout cas, à la satisfaction des maliennes et des maliens, ce sont les complices du MNLA, les Ançar Eddine secondés par le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) qui se sont  empressés d’opposer un fait de non-recevoir à la prétention des indépendantistes. Aussi au nom de l’instauration de la Charia, effacèrent-ils radicalement, par confrontation armée le 11 juillet 2012, la présence du MNLA des villes qu’ils occupaient criminellement au Nord du Mali.

Ceci dit, il ne faut surtout pas nier le fait que depuis 1963, lors des sept (7) grandes révoltes touarègues dont la République du Mali aurait pu faire économie, des exactions n’aient pas été commises d’un côté comme de l’autre. On sait, qu’historiquement, la brutalité  et la force peuvent avoir une efficacité à  court terme. À long terme cependant, elles sont complètement inopérantes. Elles ne peuvent qu’attiser la haine. Or il faut se convaincre,  rien de durable ne peut-être construit sur la haine.  C’est pourquoi un travail de sensibilisation, c’est à dire un programme de développement de la compréhension mutuelle doit nécessairement être inclus dans la formation des administrateurs et des forces de Défense et de Sécurité au Mali. 

Si cela avait été le cas en 1963, le Commandant de Cercle Najim, un Touareg  Kel Antsar de Tombouctou, aurait pu dissuader à l’époque ses subordonnées Goumiers de se moquer d’Elladi Ag ALLAH fils d’Allah Ag ELBECHIR que l’occupant français a décapité en 1954. Sans avoir été le seul facteur, on sait aujourd’hui que le ralliement d’Elladi Ag ALLAH, profondément humilié par l’administration malienne, à Zeyd Ag ATTAHER, fils de l’Amenokal écarté arbitrairement de la succession à la chefferie du groupe ethnique d’appartenance, a joué un rôle déterminant dans l’occurrence de cette première rébellion postindépendance.

Pour sûr, pour éteindre la flamme belliciste allumée au Mali le 17 janvier 20012, il ya lieu d’éviter la démultiplication des intervenants dans le conflit. La faute politique majeure serait de laisser libre cours à la diplomatie actuelle des dirigeants de la CEDEAO qui cherche par tous les moyens à cancériser la tragédie malienne par une internalisation de la crise. Si une rupture radicale n’est pas opérée dans ce sens, le conflit sera entretenu par la contradiction des divers intérêts impliqués. Les Maliennes et les Maliens ont donc intérêt de se doter d’une diplomatie dynamique mettant en œuvre des rapports bilatéraux solides qu’ils peuvent évaluer et contrôler plus facilement et qui ne frapperaient point, comme ceux de la CEDEAO, de catalepsie les Forces de défense malienne dans leur mission sacrée.

Au premier rang de cette diplomatie bilatérale se trouve l’Algérie, ayant pas moins de 1 376 kilomètres de frontière avec la Mali au Sahara. Ce pays farouchement opposé à l’établissement d’une base permanente de l’OTAN au Nord du Mali, est depuis des années la cible des terroristes. La crise malienne est devenue pour elle un facteur de déstabilisation qu’elle peut, avec la collaboration du Mali et des gouvernements africains de bonne foi, juguler, pour peu qu’elle ne soit pas entraînée, comme le Mali d’aujourd’hui, dans le gouffre des négociations ou d’interventions multilatérales. Au final, Il ne faut point oublier que c’est en menant au Mali et en Afrique la guerre pour la souveraineté alimentaire, grâce à une politique agropastorale conséquente, que la prévention définitive contre la déstabilisation et les guerres privées pourra être assurée en conjugaison avec une politique de défense crédible.
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