Par Garoute Blanc
Des voix de partout, des natifs du pays et celles du monde entier, qui sont venues au chevet de ce peuple, lors du séisme, ont appelé de leurs vœux que des ruines et décombres du 12 janvier, naisse une idée nouvelle d’Haïti, avec et pour les Haïtiens, mais les signaux qu’envoient nos dirigeants ne sont, ces jours-ci, guère encourageants. Ils en sont déjà à des décisions, pour le moins, surprenantes : un plan de reconstruction – concocté sans la participation nationale – la mise sur pied d’institutions, il faut bien le dire, de tutelle , telle la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), déjà en piste pour les dix-huit prochains mois, et la fameuse loi sur l’État d’urgence manifestement anticonstitutionnelle.
Les sentiments nobles sont, hélas, éphémères et ne durent qu’un matin. Étant donné tout ce que l’homme a déjà laissé voir de sa personne, l’on ne s’était jamais trop illusionné sur René Préval, l’on se disait, néanmoins, puisque c’est le président – même s’il a été élu dans des conditions contestables et contestées – en tant que premier citoyen du pays, l’on s’attendait à un geste de sa part et même à un geste d’éclat, vu qu’il est en fin de mandat. Comme tout humain, on lui créditait, à côté de sa part d’ombre, son versant lumineux et c’était l’occasion de le prouver, de bâtir sa renommée, même si cela n’a jamais été sa vocation première.
L’on souhaitait le voir prendre de la hauteur, se hisser à hauteur d’homme justement, se mettre au-dessus de la mêlée, sacrifier ses petits intérêts, voire mourir pour le pays, pour la patrie qu’il dit aimer tant ; animer tout au moins un mouvement patriotique, pas pour sa clique, sa clientèle politique, mais un vrai mouvement collectif où tout le monde pousserait enfin dans la même direction, sur la base d’une vision consensuelle de la refondation d’Haïti , tel qu’il s’était engagé, lors de sa rencontre avec la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton le 9 mars 2010[1], à en faire la présentation au président des Etats-Unis, Obama. Seulement voilà, le sens de l’honneur n’est pas la vertu du monde la mieux partagée. L’émotion, une fois passée, la réalité de la bêtise des monarques a repris ses droits. Place à l’état de nature. Exit le rêve à peine envisagé d’une Haïti différente. Les dirigeants haïtiens ont vite retrouvé et cédé à leurs réflexes de lilliputiens, de vieux politiciens ringards et à courte de vue. Le printemps haïtien souhaité, fantasmé, tué dans l’œuf.
Un honteux trophée
Ils s’en trouvent malgré tout pour pavoiser. Au fait, que gagne-t-il, le président Préval ? Le droit de véto sur les décisions de la CIRH ? D’avoir liquidé le peu de souveraineté qui restait à ce pays ? D’avoir fait un pied de nez à cette constitution qu’il déteste et qui l’embarrasse dans ses visées autocratiques ? De pouvoir se moquer de l’opposition ? D’avoir exclu et mettre la classe politique au rencart? D’avoir berné tout le monde ? D’avoir les pleins pouvoirs et continuer à se payer avec aisance toute tête (de parlementaire) qui dépasse ? Mais à quelle fin ? Pour sa satisfaction personnelle du petit garçon qui fait des vacheries à ses camarades sur la cour de récréation, parce que pour lui le pays se résume à cela ? Ou parce qu’il est habité par cet état d’esprit voyou que dénonce Christophe Wargny[2] ? Si la politique consiste à rouler tout le monde dans la farine. Si le pouvoir est une fin en soi et un non un moyen de servir, eh bien ! le Président Préval est effectivement un fin politique comme le clament ses thuriféraires qui ont déjà vu en lui, par ailleurs, rien de moins qu’un Castro[3], parce que, connu aussi pour être taciturne, il avait parlé plus que d’habitude, un soir de rencontre avec la communauté haïtienne à la TOHU.
Où est donc la gloire à vaincre sans péril ? Si l’international est le seul à avoir les moyens de sortir le pays de là où il est,[4] est-ce une raison pour se livrer pieds et mains liés, sans négocier. Qui a empêché au gouvernement et à la présidence de trouver des mécanismes de consultation pour connaitre les aspirations profondes du pays dans ses différentes composantes et du dedans et du dehors et se présenter, forts de ces résultats, à cette réunion du 31 mars dernier ? N’est-ce pas le boulot d’une administration soucieuse de ses administrés ?
Quand il s’agit d’engager l’avenir du pays et comme celui-ci n’appartient pas seulement à une famille politique à l’exclusion des autres, et vu la situation d’exception, le bon sens devait commander la recherche d’un accord sur la vision, le plan, le programme ou le projet stratégique, au lieu d’ironiser sur ceux qui ont obtenu 1.5 % lors des dernières élections. Cette absence de prise de conscience, cette myopie et cette volonté de confisquer Haïti pour lui et ses acolytes ne peuvent qu’enfoncer le pays un peu plus dans le malheur et les tensions et étendre le climat de rejet dans l’opinion publique de sa gestion de la République. C’était, pourtant là, l’occasion de revaloriser la politique et intéresser les haïtiens à se mêler des affaires de leur coin de terre. Incontestablement, le président Préval n’a pas tous les talents.
La diaspora des branleurs
Entretemps en diaspora, conférences, colloques, conciliabules, concerts, cacophonie. C’est devenu presqu’une mode. Dans le vide organisationnel de la diaspora, tout le monde essaye de tirer la couverture à soi, tout en se donnant bonne conscience. Tout le monde convoque, tant pis si l’on n’a aucune crédibilité. Habitué à prendre des tempêtes dans la figure, apparemment cela durcit la carapace et l’on mobilise comme on peut, quitte à ressortir des formules les plus éculées, les plus improbables: l’on est contre les intellectuels, contre les experts, contre la science. Certes, il faut réhabiliter, à coté du travail des experts qui n’est jamais omniscient, le régime de l’opinion comme vertu citoyenne, cependant, il faut les deux pour se prémunir de tout populisme de facilité, de tout « voyer-monter ». Il faut même revendiquer un peu de science pour tout le monde[5] pour mieux appréhender le monde où la pensée magique et irrationnelle tend à prévaloir. On s’en moque. Tous les moyens sont bons pour la promotion de son petit égo et l’on s’imagine recevant comme siens l’encens et les cantiques[6].
Les réunions, elles-mêmes, tournent, autour de la même scie musicale ; ce sont généralement les mêmes thèmes, voire les mêmes propositions : décentralisation, gouvernance, fonds fiduciaire, reconnaissance de la double nationalité, éducation, culture etc… Dès lors pourquoi pas une grande rencontre qui réunirait toutes ces femmes et ces hommes de bonne volonté ?
Non. Chacun sa petite échoppe, pour au moins être sûr d’en être le président (Il y a là, de la matière pour psychanalyste et psychiatre). Et par-dessus le marché, tous ont l’impression de faire quelque chose d’inédit, d’historique. Ah ! le rapport désinvolte à l’histoire ! L’on a déjà entendu un ancien ministre[7], comparer le Congrès de l’Unité de la diaspora haïtienne d’aout 2009 à Miami, au congrès de l’Arcahaie de 1803, oubliant que celui-ci a débouché sur la création d’un drapeau et d’un pays, un an plus tard et que celui-là était une grande logorrhée sans fin. A preuve, la rencontre de la diaspora haïtienne à Washington, les 22 et 23 mars écoulés en vue de la reconstruction d’Haïti a été une initiative de l’OEA.
Donc, pas de lieu de restitution, de validation, pas de mutualisation, pas de coordination des cogitations de la diaspora. Et le premier ministre, pro-diaspora[8] qui voulait à tout prix la participation des expatriés haïtiens à l’élaboration du plan stratégique[9], exprime aujourd’hui sa déception de la diaspora qu’il considère comme des discoureurs, des branleurs[10]. La diaspora étant une fiction (voir la chance qui passe[11]), M. Bellerive, tout en ne s’adressant à personne, s’adresse à la fois à tout le monde. Et si c’était une pierre dans le jardin du Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN) qui lui avait fait une large place lors du colloque des 4 et 5 mars écoulés ?
Le GRAHN, précisément, continue, perfas et nefas, ses travaux et en est à l’avant dernière phase, la phase 4 de son plan de travail, et invite à une nouvelle conférence les 20 et 21 mai 2010 à l’École Polytechnique de Montréal où « seront exposés les travaux issus de la phase 3 qui consistait à la poursuite de la réflexion à l’intérieur de chaque comité thématique en vue de compléter le travail accompli aux phases 1 et 2 »[12]. Sachant qu’il existe un plan en cours d’application depuis la Conférence internationale des donateurs pour un nouvel avenir en Haïti et la promesse de près de 10 milliards de dollars ; sachant que la diaspora a déjà tenu une rencontre et dispose d’un siège à la fameuse commission intérimaire de la reconstruction d’Haïti ( privé de voix de vote), comment éviter que la proposition qui sortira de la phase 5 des travaux du GRAHN sous la forme d’un ouvrage ne soit un document de plus pour les rayons des bibliothèques ? Quelle structure portera cette proposition « de la société civile »? Le GRAHN ? Le GRAHN-MONDE[13] ? Sachant désormais la nouvelle perception de M. Bellerive de la diaspora, les ponts, pourront-ils se maintenir ou sont-ils rompus entre lui qui copilote avec une personnalité étrangère la CIRH et les deux millions d’haïtiens vivant à l’étranger ?
Et la nouvelle Haïti ?
Visiblement pour ceux qui dirigent Haïti, ce n’est pas encore l’électrochoc salutaire pour la refondation de ce pays. Tout laisse croire qu’ils veulent continuer à faire fructifier les mêmes pratiques de reproduction des souffrances et des douleurs de ce peuple. Voilà pourquoi, les citoyens doivent être à la révolte dans le sens de l’appel de Lyonel Trouillot[14]. Il faut réclamer des lumières contre l’obscurantisme et une morale qui ferait coïncider bonheur individuel et bien général[15]. Il faut avancer avec le marteau nietzschéen, comme le dit Onfray, pour fracasser les mécaniques de la misère, la pauvreté et l’injustice sociale, étriper tout ce qui ressemble aux schémas anciens.
Ce système d’exclusion est façonné par des humains, il peut être défait, il peut être autre. Inventons d’autres rapports basés sur l’équité, l’égalité et la décence. De même, quand le professeur Daniel Holly[16] met le curseur sur l’État, ce n’est point pour le fragiliser, il s’agit plutôt d’une demande d’État, apte à tenir son rôle, un État républicain capable de construire les bases d’un véritable développement économique endogène permettant de sortir la première République noire de cette situation d’assistanat.
Si l’’éducation doit être au cœur de l’Haïti de demain, comme le souhaite plus d’uns dont la gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean[17], faisons en sorte que ce soit aussi une éducation à la citoyenneté.
La diaspora est capable d’influencer le cours des évènements, mais il faut qu’elle se donne les moyens. Sans un cadre, sans une vision, sans une structure organisationnelle, micro ou macro, en vérité, l’on ne va pas bien loin, l’on tourne en rond, à l’instar du chien qui essaye vainement d’attraper sa queue.
MEDIAMOSAIQUE.Com Du même auteur:
——————————————————————————–
[1] Rapporté par Radio kiskeya le 9 mars 2010 sur son site
[2] Ouest-France mardi 23 mars 2010 « Christophe Wargny parle du destin d’Haïti à Lamballe »
[3] Entendu sur le 1610 AM le 2 mai 2006
[4] Ouest-France mardi 23 mars 2010 : « Christophe Wargny parle du destin d’Haïti à Lamballe »
[5] Claude Allègre, ancien ministre de l’éducation nationale en France : Un peu de science pour tout le monde. Fayard 2003
[6] Jean de Lafontaine : L’âne portant les reliques
[7] Lu sur Alterpresse en ligne
[8] Media Mosaïque titrait le 20 décembre 2009 : «plus pro-diaspora que Jean-Max Bellerive, tu meurs!»
[9] Dossier de presse plan stratégique pour la refondation d’Haiti, Ministère de la Culture et de la Communication de la République d’Haïti.
[10] Ce n’est pas son mot, mais c’est tout comme : « La diaspora veut sauver Haïti, … On réfléchit beaucoup dans la diaspora, … mais j’ai besoin d’action. Mon attente est un peu déçue en ce sens ». La Presse 10 avril 2010.Haïti: trêve de discussions, c’est le temps de l’action/ Vincent Marissal.
[11] Publié sur Média Mosaïque 05 mars 2010. Contrairement à ce que pense Yves Jean-Baptiste, si le messie ne vient pas ce ne sera pas faute de n’avoir pas cité mes sources. C’est tellement évident que le titre est emprunté à Georges Anglade. C’était un texte prétexte pour lui rendre hommage.
[12] Lu sur www.haiti-grahn.net/.
[13] Expression de Samuel Pierre entendu sur Samedi Midi Inter CKUT, 13 mars 2010
[14] /www.radiokiskeya.com/spip.php?article6724
[15] Le crédo de Denis Diderot, philosophe du 18e
[16] Coordonateur de l’atelier portant sur la gouvernance lors de son intervention au colloque des 4 et 5 mars 2010 du GRHAN
[17] Symposium international sur Haïti (Université d’Ottawa, le 6 avril 2010)
PHOTO MEDIAMOSAIQUE.Com/Cr Reuters (Voyant tout s’écrouler autour d’elle, une Port-au-Princienne incapable de se consoler)