Buzz autour de l’usage de la langue française en Haïti (CARNAVAL 2012)

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MONTRÉAL – La langue française, dont l’usage est en quasi-déclin depuis l’avènement de l’ère post-duvaliériste en Haïti, mais qui jouit encore du prestige lié à l’histoire ou à la colonisation, a été au cœur d’une vive polémique opposant les deux ténors du carnaval haïtien, T-Vice et Djakout Number One qui a raflé la majeure partie des stars du groupe Djakout Mizik.

 

Exploitation d’une entrevue de RFI

Le déclenchement des hostilités avait été donné par Roberto Martino de T-Vice. Dans sa meringue carnavalesque -qui s’est révélée la plus populaire version konpa de l’année-, il a exploité la mésaventure linguistique de Shabba en mai 2009 sur les ondes de Radio France Internationale.

La rediffusion de cette entrevue de Shabba par une radio locale, Vision 2000, et les commentaires faits par l’animateur de l’époque, Luckner Désir, dont les propos ont été repris à Montréal par l’Agence de presse Médiamosaïque, avaient prédit que la piètre performance du chanteur à l’émission « Couleurs Tropicales » de RFI allait donner le ton du prochain carnaval en Haïti.

En effet, malgré l’usure du temps (deux années sans carnaval en Haïti -2010 et 2011- en raison du séisme du 12 janvier 2010 et de la commémoration du premier anniversaire de celui-ci), cet incident, qui avait fait tâche d’huile, il y a deux ans, n’a aucunement perdu de sa pertinence dans les milieux du showbizness en Haïti, d’autant que la question du français a été relancée au Parc historique de la Canne-à-sucre en janvier dernier lors d’un face-à-face entre les deux titans.

 

Fini le temps des polémiques discrètes

Moins raffinés que leurs aînés – de francs polémistes (Tropic/Septent ou Scorpio/DP Express) qui savaient utiliser avec doigté des métaphores ou des paraboles pour faire passer leurs messages -,  les deux figures charismatiques rivales de l’heure, Roberto de T-Vice et Shabba de Djakout Number One, ont, à l’image du pays où, depuis quelque temps, la barre de l’excellence devient quasiment inatteignable, mis le doigt, à leur manière, sur l’usage de la langue française en Haïti.

Loin de se laisser malmener par Roberto, qui a produit l’une des plus belles meringues de sa carrière, mais dont l’élocution dans la langue de Molière laisse également à désirer, Shabba s’est habilement faufilé en contrattaquant, usant enfin de l’autodérison pour concéder que lui et son ennemi juré de T-Vice sont « dans le même bateau ».

 

Une fête « décentralisée »

Le choix personnel du président haïtien, ex amuseur public de son état, d’organiser pour la première fois le « carnaval national » dans son fief natal, Les Cayes, s’est révélé un succès. Toute la jet-set de la capitale, riches et pauvres, qui se mêlent rarement dans ce pays, se sont, en effet, rués vers cette ville, la troisième en importance de cette république caraïbe, avions-nous appris.

Toutefois, si côté sécurité, il n’y a rien à déplorer (bilan officiel: 300 000 fêtards – 1 mort et quelques blessés ), la prétention de vouloir vendre un tel événement aux étrangers relève encore de l’utopie tellement l’improvisation et les irrégularités ont été la norme durant les trois jours gras, au regard de ce qui a été diffusé en direct via Internet à la rédaction de l’Agence de presse Médiamosaïque.

 

Le rap créole a toujours la cote

Signalons que, les deux meringues, qui, au vu de tous, ont fait le plus de vagues et qui ont touché de plein fouet le réel haïtien, au point de déranger le statu quo personnifié par Michel Martelly dont la sécurité de son régime est garantie par la Minustah (Mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti), sont issues de la mouvance rap créole.

« Brothers Posse » s’est royalement moqué du culte de la personnalité, de l’omniprésence ou de l’hyper-présidence de Martelly avec la meringue intitulée « Stayle ». Tout en appelant, non sans un zeste de patriotisme, à l’unité des habitants du « sol sacré de Dessalines (père de la nation) », a-t-il précisé, le groupe met la Minustah au défi d’y vouloir pérenniser sa présence.

Dans le même temps, dans un texte intelligemment bien pensé, le jeune groupe « Wadèzil », en français (Voix des îles), s’est révélé, le champion des métaphores avec un titre du même nom en créole, et cela, sans jeu de mots, « M’pap ka ba-w ou met afò-w », entendez par-là dans un français créolisé, avec du sexe en arrière-plan, « Je ne te permettrais pas de mettre ton affaire- dans la mienne ».

Dénonçant l’appétit sexuel sans bornes de certains militaires onusiens en Haïti, cette meringue de « Wadèzil » condamne du même coup la pratique de certains patrons haïtiens qui ont de plus en plus tendance à imposer le sexe avant d’offrir un poste aux jeunes filles haïtiennes en quête d’emploi.

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(PHOTOTHÈQUE MÉDIAMOSAÏQUE) – Images publiées par les organisateurs du Carnaval national haïtien organisée en 2012 dans la Ville des Cayes. En haut, quelques beautés sacrées reines. En bas, le président et la première dame d’Haïti, Michel et Sofia Martelly, en train de coiffer respectivement une reine et un roi).