Stella Jean fait de sa « mode métisse » une « contre-colonisation »

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MONTRÉAL (MÉDIAMOSAÏQUE) – Primée au concours Who’s on Next en 2011, adoubée par Giorgio Armani et plébiscitée par Rihanna, Stella Jean a installé, en quatre ans, ses créations métissées dans le paysage de la mode. Née d’un père italien et d’une mère haïtienne, la créatrice autodidacte fait de son métissage une philosophie de style et de vie. Loin du folklore et des fantaisies ethniques, elle tisse au fil de ses collections des liens entre des mondes que tout oppose. De retour d’Haïti où elle a rencontré Chelsea Clinton et l’équipe locale de la Fondation Clinton (1), Stella Jean partage avec nous sa vision inspirante d’un monde multiculturel.

 Identité métissée

« En Italie, dans les années 1980, c’était très difficile pour les gens de couleur. Même pour moi qui ai grandi dans un milieu privilégié. À l’école primaire, j’étais la seule Noire. Moi, je me sentais juste une Italienne « normale », comme les autres. En réalité, j’avais beau avoir le même passeport, dans le regard des autres, j’étais une sorte de sans-papiers. Je revis ça aujourd’hui avec mes enfants. Leur père est italien, mais ils me ressemblent beaucoup ; alors on leur demande toujours d’où ils viennent. Je trouve ça vraiment désagréable. Quand on est métisse, la tentation est grande de se définir en fonction de la culture dominante. Dans mon cas, ce sont mes racines italiennes. Pourtant, je ne serai jamais 100 % italienne, ni 100 % haïtienne. J’ai dû me créer une identité particulière, sans me cacher derrière l’une de mes origines. À un certain moment, je me suis retrouvée face à un choix. Soit je quittais mon pays, soit j’essayais de changer les choses. Mais partir, c’est fuir. »

Mode hybride

« Pour moi, la mode répond à la nécessité de faire passer un message. La première fois que j’ai mélangé des éléments de la culture haïtienne avec les coupes italiennes, ça n’était pas pour convaincre de mes capacités de styliste, mais pour montrer que l’on peut mélanger deux cultures très différentes pour créer un look. D’un seul regard, le message devient compréhensible. Ensuite, il faut un peu de curiosité pour voir que cela n’est pas seulement une démarche esthétique mais aussi une réflexion sur l’identité et sur le monde. »

« J’ai commencé à explorer mes propres racines, puis j’ai intégré des cultures très opposées pour montrer qu’il n’y a pas de limites. Dans la collection de l’hiver prochain, on retrouve des influences indiennes de l’Himalaya, italiennes et haïtiennes. L’hiver 2014, c’était une rencontre entre le Japon et l’Afrique. On peut créer ce genre de mélange avec toutes les cultures, et je ne suis pas la première à le faire ; mais je tiens à créer un dialogue paritaire. Ça n’est pas vraiment du métissage, mais plus de l’hybridismo culturale comme on dit en italien. »

Contre-colonisation

« Pour moi, c’est aussi une démarche de contre-colonisation. Pendant longtemps, le sud a été opprimé par le nord : on a forcé des gens à changer leurs coutumes et leurs costumes pour adopter ceux du nord. De nos jours, le mouvement s’inverse. Les personnes issues de l’immigration apportent leur propre patrimoine. Qu’on le veuille ou non, il faut arrêter d’avoir peur et commencer à penser en termes d’échange de richesses. »

Philosophie « wax and stripes »

« J’ai créé cette expression pour montrer qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Le wax, par exemple, n’est pas africain, il est fabriqué aux Pays-Bas (en Chine aussi, NDLR). Mais pour le reste du monde, c’est comme le drapeau de tout un continent. Tout le monde pense que le wax fait partie de la tradition africaine, mais c’est faux. C’est une colonisation culturelle du nord par le sud qui trompe tout le monde. Le wax, comme la couleur de peau, fait partie des clichés, des a priori. »

Haïti, Burkina Faso, ITC

Stella Jean et Chelsea Clinton lors d’une visite de l’atelier Caribbean Craft. (Haïti, 2015.)
Photo Fondation Clinton

« Je travaille avec I’équipe de l’Ethical Fashion Initiative (ITC) depuis ma troisième collection. Grâce à elle, j’ai pu découvrir les vrais tissus africains. Par exemple, les tissus à rayures que l’on voit sur mes créations viennent du Burkina Faso. Ce type de canevas entièrement tissé à la main fait partie des traditions de ce pays. Et c’est ça, le paradoxe du « wax & stripes ». Ce sont les rayures (« stripes ») qui doivent vous faire penser à l’Afrique, et non le wax. Le cuir utilisé pour les accessoires vient d’Éthiopie ; on trouve là-bas un cuir de très belle qualité. Les accessoires sont fabriqués avec des pièces en fer forgé, en papier mâché et avec des perles qui viennent d’Haïti. »

Voyages et inspiration

« J’ai envie que mon travail soit cohérent. Pour cela, j’ai besoin de comprendre ce que je fais. Je voyage donc souvent, je découvre un nouveau pays chaque année. Je parle beaucoup avec les gens des ateliers que je visite dans les villages. J’aime tout savoir sur leurs traditions, leurs savoir-faire et même leurs petites histoires de famille. Mais je ne me contente pas de traduire ce que je vois, ni de faire n’importe quoi. On ne peut pas juste emprunter ce qu’on aime pour des raisons esthétiques. En Haïti, par exemple, il y a des formes ou des couleurs qui ne correspondent pas aux traditions. Je respecte cela, comme je respecterai n’importe quelle autre tradition. »

Bio express

1979 : naissance à Rome, fille de Violette Jean et Marcello Novarino.
Juillet 2011 : lauréate du concours Vogue Italia, Who’s on Next.
Septembre 2012 : premier défilé à la Fashion Week de Milan.
Juin 2013 : présentation de la première collection homme à Florence.
Septembre 2013 : Giorgio Armani propose à Stella Jean de défiler dans l’enceinte du Théâtre Armani.
Avril 2014 : un ensemble Stella Jean collection homme printemps-été 2014, est exposé au Victoria & Albert Museum, dans le cadre de l’ exposition « Le Glamour italien de 1945-2014 ».

Défiler et rassembler

« Au début de chacun de mes défilés, on peut entendre un cri de femme qui dit : « Rassembler. » C’est la voix d’une grande actrice haïtienne, Toto Bissainthe, qu’on entend sur cet enregistrement qui date des années 1960. À l’origine, ce cri était un appel au rassemblement des soldats avant de la bataille. Si on écoute bien, on entend aussi le lambic, ce gros coquillage dans lequel on souffle. C’est en fait le son et le cri de la libération haïtienne. Pour moi, avant le défilé, c’est une façon de dire : « Attention, ouvrez bien vos yeux et vos oreilles, je vais vous raconter quelque chose. » »

Liste des points de vente sur www.stellajean.it

(1) La Fondation Clinton soutient différents programmes en Haïti dans les domaines de l’agriculture, la santé, la création d’entreprises et en particulier l’entreprenariat féminin.

Médiamosaïque avec Madame Figaro

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