Robert Philomé témoigne: Haïti, une immense nécropole

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J’ai retrouvé mon peuple. Je respire à nouveau l’odeur caraïbe, les senteurs de ma terre. Effroi ! Epouvante ! Quelques jours plus tôt, Haïti a été ravagée par un tremblement de terre d’une magnitude de 7.0. C’était un mardi. Un funeste mardi de janvier où le temps s’est violemment arrêté entraînant deuils, chagrins, destructions. En seulement trente-trois secondes, les entrailles de mon pays se sont mises à se mouvoir.

 Un tremblement de terre!  

Abruti, je parcours ma ville rasée façon Hiroshima. Tout ou presque est par terre. Les bâtiments encore debout sont lézardés. Le moindre souffle les mettra K.O.

Port-au-Prince, ma grande ville-poubelle, ma ville-plaie, lacérée de part en part. En ce mardi noir, Haïti a poussé un énorme râle. Combien de cadavres jonchent ce qu’il reste des rues ? Combien pourrissent sous des amas de béton et ces immondes forêts de fer forgé ? Combien pleurent un frère, une sœur, un mari, un enfant, un bébé, un proche ?

La ville entière pousse des cris de folie. Certains tournent, virevoltent, le regard dans le vide, quêtant un destin autre que celui, effroyable qu’ils viennent d’affronter les yeux dans les yeux.

Le cataclysme s’est abattu, absurde, sauvage, sur un pays déjà ruiné. Un profond sentiment de douleur m’attrape par les tripes. Des orteils aux cheveux, je sue, je tremble, je pleure. Pleurs de rage, pleurs de pitié et pourquoi pas de haine.

 J’erre dans cet océan de détresse. L’odeur des cadavres a remplacé celle des vivants. Quels vivants ? J’essaie de saisir la tragédie de ceux qui ont vécu ces trente-trois secondes. Rien ! Un souffle ! La terre qui se meut ! La tête qui tourne ! Les jambes qui flagellent ! Thanos qui agite son ignoble flèche ! Et tout s’est écroulé. La maison, le palais, l’école, les assassins qui vous broient !

 La mort s’est agrippée aux collets de Port-au-Prince, de Jacmel, de Petit-Goâve. Elle s’est distillée à la vitesse de l’éclair dans une furie nucléaire. Tous ces bâtiments transformés en tombeaux !

 Que dire quand la terre  censée être nourricière s’est livrée un incommensurable infanticide ? Quand elle vous laisse avec ici un bout de bras, là un bout de jambe, plus loin un morceau d’abdomen ou un crâne fracassé ?

 Des morts en cavalcade ! Les chariots remplis de chair humaine courent dans tous les sens. A la recherche d’une fosse quand la ville elle-même une immense nécropole.

 J’avais quitté mon pays en pleine folie orchestrée par un apprenti-dictateur. Je le retrouve tassé comme un macabre mille-feuilles de gravats, de béton aveugle et meurtrier, de macchabées. Des armes de cette République, il n’en reste plus que deux, je crois, pour faire face à l’adversité : la dignité et l’espérance.

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 http://www.france24.com/fr/20100118-haiti-temoignage-philome-robert-famille-saine-sauve-desolation-seisme

Philomé Robert, journaliste à France 24, de retour d’Haïti