Friand d’émissions de télévision de qualité, je suis depuis plusieurs années les prestations d’une singulière étoile du paysage audiovisuel québécois, Varda Étienne.
La chaîne TVA m’en a encore donné l’occasion l’autre jour lorsque cette négresse du Québec, d’une beauté et d’un rayonnement à couper le souffle, a présenté le livre-témoignage « MAUDITE FOLLE » qu’elle vient de publier aux Éditions Les Intouchables. L’entrevue exclusive que Varda Étienne a accordée au réseau montréalais TVA, pour exposer son livre, a retenu mon attention à plusieurs titres. Voici pourquoi.
Varda Étienne a pris le risque –et c’est tout à son honneur– d’écrire sur l’un des sujets les plus tabous au Québec : la maladie mentale, et en particulier la maniaco-dépression également appelée la bipolarité dont elle est atteinte depuis fort longtemps. Il faut un sacré courage pour écrire sur un sujet aussi explosif; il faut un courage exceptionnel pour dire en public qu’on est atteint d’un tel mal de l’être intime et en témoigner à visière levée, à l’écrit comme sur les ondes télé. Par-delà l’élégance raffinée de sa manière d’exprimer, à la télévision, sa souffrance passée et actuelle, cette femme cultivée et informée m’a impressionné par sa sincérité et sa volonté de mettre son témoignage au service des personnes atteintes du même mal et des familles qui les supportent au quotidien.
J’ai été touché par la sincérité et le courage évidents de Varda Étienne de se dénuder de la sorte, de laisser parler son mal–être comme son mal-vivre, pour que le mal-être et le mal-vivre des autres personnes bipolaires soient mieux compris et mieux humanisés dans leur environnement quotidien. C’est précisément ce courage et cette sincérité, sur les ondes de TVA, qui m’ont porté à lire son époustouflant livre « MAUDITE FOLLE ».
Ce livre est un cri. Un appel au secours. Une confession aussi, assortie de la demande publique de pardon à ceux qu’elle a fait souffrir, qu’elle a humiliés et blessés malgré elle au cours de ses phases maniaco-dépressives. Ce livre-témoignage est exceptionnel en cela, et aussi parce qu’il dit avec force, tel un tsunami, que la prise en charge et la relative guérison sont possibles pour les personnes atteintes de bipolarité. Ce livre est donc également un cri d’espoir.
Varda Étienne ne vise pas l’obtention du Prix Goncourt avec son beau livre. Son témoignage, tel une catharsis, s’adresse plutôt à la mémoire des corps, aux corps qui souffrent autant qu’aux âmes qui errent au périmètre combien difficile de nos petites et grandes fêlures quotidiennes. Car si elles ne sont pas contagieuses, les maladies mentales, socialement banalisées ou étouffées, ont des conséquences aussi dommageables que les affections dites contagieuses.
Écrit dans une langue claire et bien maîtrisée, « MAUDITE FOLLE » se lit avec aisance et le propos s’articule autour de 2 grands axes pour laisser librement parler le « Moi », « Les Autres » et « Elle », le tout couvrant 166 pages. Varda Étienne exprime, d’abord, un retour critique sur son passé tumultueux et, ensuite, elle élargit son propos au regard que certaines personnes-clé de sa vie portent sur elle et sur sa maladie.
Sans complaisance et sans concession, Varda Étienne revisite son parcours, depuis son enfance à Outremont jusqu’à ses engagements professionnels récents dans les médias québécois. Ainsi sont dévoilés de profondes blessures de l’enfance et de l’adolescence, le sentiment d’abandon précoce qu’elle a péniblement vécu dans sa famille, ainsi que l’extrême violence symbolique, physique et psychologique que son corps à enregistré au travers d’un viol sexuel inaugural qui l’ont marquée au fer chaud. D’un centre d’accueil à l’autre, des frontières fragiles de l’exil intérieur aux révoltes de l’adolescence qui ont servi de terreau à l’emprise de la bipolarité sur son corps et son âme, Varda Étienne se livre et emporte notre adhésion pour mieux comprendre son mal et le mal qu’il sème autour d’elle. Car la bipolarité n’est pas seulement un mal général du corps et de l’humeur dont il importe de saisir le fonctionnement, c’est aussi une maladie qui torpille les représentations symboliques et les rapports de pouvoir et d’autorité à l’intérieur des cellules familiales et sociales dans lesquelles gravite la personne atteinte. Ainsi, au chapitre « Elle », l’auteure fournit un ample éclairage sur l’état actuel des connaissances médicales relatives à la bipolarité et sur ses répercussions immédiates. En cela encore, le témoignage de Varda Étienne est exemplaire.
Par-delà cette utile et éclairante incursion dans la sphère théorique du mal-être bipolaire, le témoignage de Varda Étienne a également retenu mon attention en ce qu’il dévoile, enfin, une grande blessure symbolique que vit un certain nombre de jeunes Québécois dont les parents sont issus d’une première génération d’immigrants franco-créolophones, les Haitiano-Québécois. Courageuse, Varda Étienne prend le risque énorme de casser un tabou : « Pour la majorité des Haïtiens de naissance, la maladie mentale dans la famille est inacceptable. En Haïti, on ne parle pas de la maladie mentale, c’est un tabou. Quand un enfant en est atteint, on le garde à l’intérieur de la maison, on ne le sort jamais, personne ne le voit, on le cache ou on l’exile. » (p. 43). Pareil dévoilement, à lui seul, donne toute sa force au témoignage de l’auteure, et c’est à travers cet exil intérieur que va progresser sa bipolarité au fil des ans et des circonstances de sa vie. Démunis comme bien des parents immigrants face aux maux symboliques qu’ils ne comprennent pas, ceux de Varda Étienne ont choisi de l’exiler dans leur pays de naissance, Haïti, dans l’espoir combien vain que leur fille, née et ayant grandi au creux des valeurs du Québec, trouvera dans le Vaudou une guérison « miraculeuse ».
La cérémonie vaudoue a bien lieu, et l’enfant reviendra à Montréal plus malade que jamais… Ainsi perdurent les mirages d’une culture magico-religieuse à laquelle on demande de faire des « miracles » que la médecine occidentale ne songe même pas à prescrire… La dualité des cultures, mal maîtrisée là encore, aura fait des ravages. Le chapitre 6 de « MAUDITE FOLLE » consigne le deuxième temps fort du témoignage de l’auteure. Car il faut à cette vedette des médias québécois un immense courage, une rare sincérité et beaucoup d’humilité pour dire publiquement qu’elle a été agressée et violée par un prédateur armé d’un rasoir : «Je tente de me débattre mais j’ai les mains liées. (…) Mon corps lui appartient. Ses doigts glissent sur ma peau, maintenant il touche mon sexe. Puis il me charcute le sexe avec le rasoir. Et il jouit. Je hurle.» (p. 48 – 49). Comment, dès lors, se reconstruire au fil des ans lorsqu’on est une personne bipolaire, qu’on vit depuis l’enfance un sentiment d’abandon à répétition, lorsque notre corps a été ainsi violenté à l’extrême ? Comment donc peut-on apprendre à vivre « normalement » lorsqu’on a été tant de fois exposé à l’anormalité ? Quelles sont les voies de « sortie » de toutes ces blessures ? Faut-il d’ailleurs en « sortir » ou apprendre à « vivre avec » ?
Le livre de Varda Étienne a le mérite indiscutable de pointer du doigt toutes ces blessures physiques, psychiques et symboliques sans tomber dans le sensationnalisme ni le voyeurisme. Le ton de l’ouvrage, malgré les douleurs qu’il nomme et expose, demeure serein et ne charrie aucune rancune, aucune haine. Au contraire, il se clôt au chapitre final sobrement intitulé « Elle », sur une claire note d’espoir lorsque l’auteure, une fois de plus sur le point de fuir -de se fuir-, se trouve face à sa fille Dahlia. Elle s’y projette et dès lors se fait le déclic salvateur : elle ne l’abandonnera pas comme elle, elle a été abandonnée. Cet espoir a donné lieu au beau livre que je viens de lire.
*L’auteur est linguiste-terminologue
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