MONTRÉAL (MÉDIAMOSAÏQUE) – On le voyait peu devant les caméras, pourtant, l’homme était un géant du monde des affaires. Assurances, énergie, services financiers, médias, Paul Desmarais était présent dans presque tous les secteurs, sur presque tous les continents. Un magnat qui est parti de presque rien, doté d’un flair hors du commun, Paul Desmarais a légué à ses fils le plus grand empire financier du Québec.
Avec le décès de Paul Desmarais vient aussi de disparaître l’un des principaux symboles de la promotion économique des francophones durant la Révolution tranquille.
Le « p’tit gars » de Sudbury, en Ontario, est parti de zéro. En 1951, à l’âge de 24 ans, il rachète de son père pour 10 $ une quinzaine d’autobus en piteux état de la Sudbury Bus Lines. Il doit sauver la compagnie de la faillite et est contraint de payer certains de ses employés avec des billets d’autobus.
En 1960, en pleine Révolution tranquille, il se rend à Montréal et rachète progressivement d’autres sociétés de transport, dont Provincial Transports, les futurs Autobus Voyageur.
Un peu plus tard, il s’achète une maison de campagne à Murray Bay (La Malbaie), dans Charlevoix, où il côtoie chaque été les grandes familles anglo-québécoises.
Comme il le disait lui-même, il y avait très peu de Canadiens français dans la communauté des affaires à l’époque.
Mais en 10 ans, Paul Desmarais fera la preuve qu’une classe d’affaires francophone est en pleine émergence dans la Belle Province.
Quand l’élite anglo-québécoise, mise à mal par la nationalisation de l’électricité au Québec dans les années 1960, se défait de ses intérêts, il est là pour racheter les actifs.
Il réalise son coup de maître en 1968 en mettant la main sur Power Corporation, à l’aide d’une stratégie astucieuse, une prise de contrôle inversée qui est devenue sa marque de commerce. « Je leur ai vendu mes actifs, et avec les profits, j’ai racheté la compagnie », expliquait-il.
Avec Power Corporation, ses intérêts se trouvent désormais répartis dans plusieurs secteurs, notamment la haute finance, les assurances, les transports et les médias.
Toutefois, à mesure que s’accroît son importance au sein du milieu économique, son pouvoir en dérange certains. En 1970, dans son manifeste, le Front de libération du Québec (FLQ) le montre du doigt ainsi que plusieurs autres personnalités de l’élite économique, les qualifiant d’exploiteurs.
L’année suivante, l’homme d’affaires a maille à partir avec ses employés de La Presse en grève.
L’establishment anglophone aussi lui met des bâtons dans les roues. Il l’empêche dans les années 1970 d’acquérir l’entreprise ferroviaire Canadien Pacifique. En 1986, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC) lui refuse l’achat de Télé-Métropole (aujourd’hui TVA). Mais Paul Desmarais est un homme plein de ressources et saura se tourner vers d’autres secteurs et d’autres marchés.
Flairer la bonne affaire
La clé de voûte de ce que plusieurs nomment aujourd’hui l’« empire Desmarais », c’est Power Corporation.
L’entreprise, rachetée en 1968 pour moins de 100 millions de dollars, gère aujourd’hui plus de 525 milliards de dollars, directement ou indirectement.
Elle est surtout présente dans le secteur des services financiers. Elle détient trois poids lourds du secteur de l’assurance : la Great West, la London Life et Canada Vie. Elle a aussi mis la main, récemment, sur l’Irlandaise Irish Life.
« Que ce soit la Great West, Power Financial, ou Power Corp., on a une croissance de profits de presque 20 %. Donc, ce sont des compagnies d’assurance gérées de façon assez conservatrice et, cependant, il y a toujours une certaine progression », explique Denis Durand, associé principal chez la firme d’investissement Jarislowsky Fraser.
Power Corporation est aussi propriétaire du Groupe Investors, de Placements Mackenzie et de la société américaine Putnam Investments. Elle gère les avoirs de plusieurs millions de personnes.
« Cette approche conservatrice leur a permis de passer à travers la crise financière mieux que la moyenne des autres sociétés dans le secteur de l’assurance. De plus, la société Great West n’a pas été très affectée par le papier commercial adossé à des actifs », poursuit M. Durand.
Si elle tire l’essentiel de ses profits de ses activités financières, Power Corporation détient sept journaux par l’entremise de sa filiale Gesca, dont La Presse, Le Soleil de Québec et Le Droit d’Ottawa.
Mais l’empire de Paul Desmarais dépasse les frontières canadiennes. Grâce à son association avec le milliardaire belge Albert Frère, Power Corporation détient une participation dans plusieurs groupes industriels européens, comme Lafarge, la pétrolière Total, la société énergétique et de gestion de l’eau Suez et le géant des spiritueux Pernod-Ricard.
Depuis les années 1970, Paul Desmarais a aussi un pied en Asie. Power Corporation détient près de 5 % de la société chinoise CITIC.
« Ça a permis à la famille Desmarais, depuis 18 ans, d’être déjà présente et bien acceptée sur le marché chinois », dit Denis Durand.
Power Corporation n’a pas de dettes et n’a pas connu un seul trimestre déficitaire depuis 30 ans. Le secret de cet immense succès c’est le jugement et le flair de Paul Desmarais. Par exemple, dans les années 1980, il quitte les pâtes et papiers juste avant que le secteur n’amorce son déclin, pour centrer ses activités dans le secteur des services financiers.
« Pourquoi sortir du papier pour aller dans l’assurance? Je pense que le talent de M. Desmarais, c’est d’avoir perçu que dans le secteur des pâtes et papiers, les opportunités d’affaires n’étaient plus ce qu’il croyait », juge Jean-Marie Toulouse, ancien directeur de HEC Montréal.
Par ailleurs, Paul Desmarais avait bâti un réseau de contacts politiques dans tous les partis politiques. Les anciens premiers ministres Brian Mulroney et Paul Martin ont déjà travaillé pour lui. Certains croient donc qu’il avait une influence politique hors du commun.
« Il est probable qu’un premier ministre va avoir avantage à consulter un homme comme Paul Desmarais et en même temps, aussi, on le sait, Paul Desmarais est un homme de conviction qui cherche évidemment à influencer les gens à cause de ses convictions », affirme Pierre Laurin, président du conseil d’Atrium technologies, ancien vice-président d’Alcan et ancien directeur de HEC Montréal.
L’homme d’affaires était aussi un amateur d’art et un grand mécène qui a distribué des dizaines de millions de dollars.
« Si on regarde ce qu’il a fait pour l’Université de Montréal, régulièrement, il a été l’un des donateurs les plus importants. Il s’est impliqué dans le Musée des beaux-arts de Montréal, l’Orchestre symphonique de Montréal, des oeuvres de charité, mais on le sait moins que par rapport à d’autres, parce qu’il est en même temps très, très discret. Et c’est une des marques de la famille Desmarais, la discrétion et l’élégance dans le mécénat », ajoute M. Laurin.
Paul Desmarais a certainement inspiré d’autres hommes d’affaires francophones, en prouvant qu’un des leurs pouvait se hisser au sein de l’élite internationale.
Médiamosaïque avec Radio-Canada
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