Michel Martelly, le 56e président d’un singulier petit pays

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Par Gilbert Michaud

Montréal- Les incrédules n’en croient pas leurs oreilles, pourtant les Haïtiens ont tranché sereinement en départageant, via un score sans appel, le chanteur populaire et outsider, Michel Martelly, de l’ex-sénatrice et première dame de la République d’Haïti, Mirlande Manigat.


Un verdict qui réjouit et « surprend »

En effet, selon les résultats préliminaires du Conseil électoral provisoire (CEP) obtenus par l’Agence de presse québécoise Médiamosaique, la présidentielle en Haïti a été remportée par M.Martelly (50 ans), le candidat de la nébuleuse « Repons Peyzan » avec 67,57% des votes, surclassant ainsi la candidate du RDNP, la septuagénaire, Mme Manigat, qui n’a recueilli que 31,74 des suffrages exprimés.

À Port-au-Prince, dans plusieurs villes de province, alors que la déception s’installait dans le camp Manigat, la liesse populaire était au rendez-vous, seulement quelques minutes après l’annonce officielle des résultats, pour saluer la victoire du 56e président dont l’élection constitue un sérieux revers, voire l’équivalent d’un séisme politique pour toute la classe politique haïtienne.

De concert avec la mission onusienne (MINUSTAH) présente depuis 2004 sur le terrain, les forces de police locales avaient échafaudé tout un plan de sécurité pour parer à tout éventuel débordement  au cas où les résultats du scrutin irriteraient un camp ou un autre, il va sans dire celui de Martelly qui avait fait la démonstration de sa force de feu lors de la divulgation des résultats du premier tour.

La victoire de Martelly « prévisible »

Cette cuisante défaite de l’ex-première dame était prévisible, même si elle caracolait en tête dans les intentions de vote avant et même après le premier tour. Bon nombre de ses partisans l’avaient abandonnée, étant donné qu’elle n’avait pas su démentir formellement les rumeurs d’un éventuel pacte qu’elle aurait conclu en cachette avec l’impopulaire président sortant, René Préval.

Le défi paraissait énorme pour Mme Manigat, prise de court par un momentum pro-Sweet-Micky qui allait dicter le ton de la campagne suite à l’intervention des experts de l’OEA qui, à la demande du chef de l’État sortant, avaient révisé les résultats du premier tour au détriment du dauphin du pouvoir, Jude Célestin, éjecté de la course. Dès lors, et le chanteur, et ses bruyants partisans, dopés par des appuis de taille, entre autres celui de Wyclef Jean, allaient avoir le sentiment qu’une victoire en bonne et due forme était à portée de main.

La performance mitigée de Mme Manigat lors de l’unique débat des chefs, qui devait se solder absolument par une victoire convaincante de la sorbonnarde (férue d’histoire, de science politique et de thèses constitutionnalistes), aux dépens de l' »inculte » chanteur populaire (détenant une connaissance limitée ou approximative des grands dossiers de la nation, mais qui disposait des mots clés pour diffuser son message à la nation), avait fait craindre le pire dans le camp Manigat.

La déception de bon nombre d’Haïtiens, qui ne voteraient nullement pour le sulfureux chanteur, explique, en partie, le très faible taux de participation de l’électorat, évalué à environ 30% par le CEP. Voila pourquoi, moins de 800 000 votes ont été nécessaires à Martelly pour remporter le scrutin alors que l’électorat haïtien, selon les chiffres officiels, dépasse les 4 millions d’électeurs.

La polarisation des critères en vertu desquels les électeurs devaient se positionner, (le choix de la morale ou de l’immoralité, les nombreux diplômes de Mme Manigat versus zéro côté Martelly, la rationalité du discours de la prof d’université vs le populisme de l’artiste dont le capital dans l’art d’haranguer les foules n’est plus à faire), n’a pas joué, non plus, en faveur de la candidate dans un pays où l’on dénombre très peu d’indécis.

En outre, le recrutement de professionnels étrangers et haïtiens avérés en communication et en marketing politique pour mousser la campagne de Martelly s’est révélé payant face à la faible ouverture dénoncée par certains, l’amateurisme ou le manque de doigté de l’équipe de Mme Manigat qui avait, pourtant, de la matière pour bien aiguiser ses armes contre le chanteur devenu président. 

Incohérences des « élites » haïtiennes

Cette élection, qui s’est révélée la plus atypique (une femme vs un chanteur) de toute l’histoire d’Haïti, a également mis à nu les incohérences des élites haïtiennes. On a curieusement vu des leaders féministes résister à endosser la candidature de Mme Manigat face à un rival dont les envolées ordurières ou triviales de son récent passé d’artiste, ont souvent pris la femme pour cible. Sans oublier que ce scrutin était la seule occasion véritable à même de déboucher sur l’élection historique d’une femme à la tête de cet État.

Les responsables des différentes formations politiques, qui logiquement, devraient faire un front commun pour supporter un des leurs, Mme Manigat, face à un challenger venu de nulle part, menaçant de faire table rase du système ou de scier la branche sur laquelle ils sont tous assis, ont pourtant majoritairement préféré faire du « marronnage à l’haïtienne » ou ne pas se prononcer tout simplement.

Contrairement à la tradition pérenne dans d’autres sociétés, il est permis de penser que Mme Manigat trouvera difficile de reconnaître sa  défaite, même si, aux yeux de tous, elle est cuisante. Le fair-play s’inscrit aux abonnés absents dans l’ADN politique des Haïtiens. Au lieu d’un appel de courtoisie pour féliciter le nouvel élu, la perdante, dans ses premières déclarations, accusait plutôt le CEP d’avoir fomenté « un hold-up électoral ». On est en Haïti…

Enfin, muselés par une loi scélérate enjoignant la presse de ne piper mot sur la tendance du vote, les médias haïtiens ont, une nouvelle fois, fait les frais de l’autoritarisme des dirigeants de ce singulier petit pays. Alors que les confrères de la république caraïbe se voyaient contraints de respecter un embargo sur les résultats, un des membres de cette même institution électorale a délibérément choisi de divulguer l’issue du scrutin à la presse occidentale. Bref, de l’incohérence en masse « tête kalé » sur toute la ligne!

 

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(PHOTO MEDIAMOSAIQUE.Com- Cr.Google -Joseph Michel Martelly du regroupement politique « Repons Peyizan », élu 56e président d’Haïti  lors du deuxième tour de la présidentielle haïtienne le dimanche 20 mars dernier)