Le bordel continue dans l’Haïti de Martelly

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MONTRÉAL – En Haïti, les observateurs tardent à sentir l’embellie tant attendue de l’arrivée de Martelly au pouvoir. À l’intérieur, comme à l’extérieur du pays, des analystes indépendants en veulent déjà à l’ex-chanteur de konpa qui avait promis une overdose de changement à l’électorat haïtien.

Comme le rapporte Garoute Blanc, dans cette réflexion qu’il a soumise à la rédaction de l’Agence de presse Médiamosaïque, » l’on s’était mis à croire, bien-sûr, sans aucune garantie, que Martelly surprendrait…agréablement. Mais c’était mal connaitre l’homme. Il aura depuis beaucoup déçu « .

Bref, une année après le début de ce quinquennat, qui a mis un terme au règne quasiment sans partage (deux décennies) de la gauche haïtienne, les fruits d’une gouvernance de la droite, incarnée par Joseph Michel Martelly, n’ont, semble-t-il, pas tenu la promesse des fleurs…

Ci-dessous, le papier du journaliste québécois d’origine haïtienne, Garoute Blanc.

Par Garoute Blanc

Le bordel continue dans l’Haïti de Martelly

« Je souhaite qu’un tremblement de terre produise l’écroulement de toutes les vieilles formes » Stéphane  Zweig

L’électrochoc des 7,3 de magnitude du séisme du 12 janvier 2010, trop peu pour la nécessaire introspection, l’indispensable travail de conscience individuelle et collective dont ce pays a si besoin pour envisager d’autres inter-subjectivités, d’autres altérités faites de solidarité, de respect dans l’inéluctable dialogue  social, citoyen et patriotique.

Le tremblement de terre est déjà…loin, du passé. Le sang sèche plus vite dans ce tiers d’île. Le cataclysme est d’hier, mais hier c’est encore aujourd’hui. Les stigmates demeurent 2 ans après, visibles, ostensiblement: tous ces amputés qui essayent de retrouver un semblant de vie normale, toutes ces tentes de fortune, de promiscuité, ce champ de ruine apocalyptique de cette capitale de gravats avec le Palais national, encore à terre et toujours cette même odeur acre de la mort qui enveloppe la cité.
Les bases d’une Haïti nouvelle ne sont pas la préoccupation de nos dirigeants, de nos élites. Leur souci : comment tirer profit du chaos, comment se mettre en position, pour capter l’aide internationale, tout en faisant semblant de relayer le message revendicatif et populaire de refondation de ce pays (voir quand ça finit ça recommence).

…Et puis, dans la foulée du renouvellement du personnel politique, vint…un certain Martelly, alias Sweet-Micky, chanteur lubrique de son état. En politique, nous apprend Machiavel, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal,  alors le moindre, mal disait-on, c’était lui. Puisque tous ceux qui étaient d’une manière ou d’une autre dans le compagnonnage de Préval – le président sortant discrédité – étaient toxiques (donc la cohorte des candidats à la présidentielle de novembre 2010, Jude Célestin, évidemment, et même Mme Manigat). Présenté comme anti-système, repêché par les Américains pour le 2e tour (l’on comprend pourquoi il est revenu sur sa décision d’annulation du 1er tour qui le mettait en 3e position), depuis, il est abonné aux volte-faces.

Du pareil au même

Dans ce pays où prévaut la pensée magique, l’on s’était mis à croire, bien-sûr sans aucune garantie, que Martelly surprendrait…agréablement. Mais c’était mal connaitre l’homme. Il aura depuis beaucoup déçu. L’on a beau essayer d’exorciser, en lui, le mauvais génie; Sweet-Micky sort de ce corps! Rien n’y fait. Sweet-Micky a phagocyté, cannibalisé Martelly. L’empaquetage nouveau n’en n’a pas fait pour autant un produit nouveau. Par contre, pour quelqu’un qui est arrivé là quasiment comme un chien dans un jeu de quille et qui s’est, en outre, revendiqué n’être pas du sérail, c’est-à-dire étranger à la classe politique, on ne peut qu’admirer sa vitesse d’apprentissage et la facilité avec laquelle il s’est fondu dans le paysage politique haïtien, chapeau l’artiste! C’est à s‘y méprendre, tant il ressemble à ces prédécesseurs avec, en bonus, ce goût pour la vulgarité, l’injure et l’obscénité. 

S’étant toujours projeté président…de la musique Konpa et devenu, par un concours de circonstances, le président…réel, alors il ne s’est pas gêné, mieux il s’est lâché mettant sur le même plan le président et le chanteur. Il a transmuté avec ses bagages : polémique, langage fleuri et striptease; le spectacle ne pouvait être que garanti. Si son prédécesseur était dans un mutisme exigé par son hougan, s’amusait-on à raconter, lui, il est dans l’autre extrême, l’esbroufe, le délire, la logorrhée, l’hystérie. Depuis son élection, il est dans une posture de super héros,et de messie, il ne touche plus terre, toujours en lévitation. Il est sur sa plateforme ne sachant pas  en redescendre ou plutôt ne voulant pas en redescendre, croyant avoir une meilleure vision du monde et de lui-même, bref un genre de pierre lancée, comme se définissait le vieux Nérette – président  d’Haiti lui aussi, post coup d’État 1991 – rien ne peut l’arrêter, donc dangereux. Qu’a-t-il donc aspiré, inhalé, à quoi carbure-t-il, pour être un président si sulfureux ?

Curieusement, les gens s’en émeuvent à peine. Pourvu que son surmoi personnel fonctionne à l’étranger; revenu au bercail, là il pourra déverser en toute tranquillité son trop plein de bile, de crachats, de trivialités et de grossièretés sur ses compatriotes, en mal de sensations fortes, où la chose fera moins de mal, parce que, eux, ce ne sont pas des humains, la scatologie leur va si bien, semblent dire ses fervents admirateurs. Et vu le niveau de stress de ce job, le président a bien besoin de se défouler ; c’est son oxygène, son repos du guerrier.

La machine à déconner

Monomaniaque de la force. Il veut en découdre avec tout le monde. Partout où il passe, il allume des feux qu’il ne sait pas toujours éteindre. C’est un président pyromane. L’on savait qu’il aurait à affronter des tempêtes, mais l’on ignorait qu’il se les serait créées lui-même. Après, il se plaint des conséquences dont il chérit pourtant les causes. En effet, il s’est attiré des orages qu’il aurait pu éviter.  L’arrestation arbitraire du député Arnel Bélizaire; son obsession de l’armée et son laxisme vis-à-vis des paramilitaires sur le territoire; son invasion de la Faculté d’Ethnologie à la tête d’une bande de carnaval; ses déclarations pro-Duvalier; ses incongruités vis-à-vis des journalistes ; son premier ministre Conille qu’il a abreuvé d’injures et forcé à démissionner; les élections des collectivités locales non tenues et le remplacement des maires par des proches; la non collaboration dans le dossier de sa double citoyenneté présumée…la liste est longue.  Autant de conneries, dans un temps si court, Martelly mériterait bien d’être dans le Guinnes des records.

N’ayant lu aucun livre, de cela il s’enorgueillit; pour lui, le pouvoir ne peut être que de droit divin, d’où le recours à la « religion pour la paix », comme principe d’autorité dans le dossier pendant de sa  double citoyenneté. Il interprète l’histoire d’Haïti à son avantage, en se mettant chaque fois du coté des bourreaux, des colons et des esclavagistes. Normal, «c’est à Gênes en Italie que naquit…Sweet-Micky », s’identifiant ainsi à Christophe Colomb. Pas étonnant qu’il s’en remette à l’ambassadeur US, autre caution forte pour asseoir et fonder son haïtiannité et son non-renoncement à sa nationalité. Voilà au moins quelqu’un qui a la pleine conscience de la tutelle, alors se conduit-il en tant que pupille, convaincu sans doute que « la servitude…libère du fardeau de la liberté », pour citer La Boétie, congédiant ainsi le pays et ses efforts déjà insignifiants d‘institutionnalisation. Et il s’en trouve pour justifier et louer son pragmatisme! Après avoir paradé fièrement en Amérique latine au bras de Chavez, pris une part active dans les travaux de l’Alba, laissant comprendre une certaine autonomie en politique étrangère du pays, la brebis, faussement galeuse, retourne au bercail dans le giron du tout puissant voisin. Martelly, se prendrait-il pour Toussaint Louverture?

À une certaine époque, maintenant révolue, Martelly eut été considéré comme un allié objectif du prolétariat qui, en exacerbant les contradictions, précipiterait la révolution. Or,  il n’existe ni avant garde ni peuple conscientisé, instinctivement, il le sait. L’État étant lui, alors plus personne ne devrait s’opposer à la volonté de César. Plus on lui dit d’être mesuré, plus il comprend qu’il n’a pas de mesure à donner à son pouvoir. Et pour cause, en face de lui, en effet, personne de crédible, personne faisant vraiment le poids, tous souillés, à un degré ou à un autre ; les rares exceptions n’arrivent pas à articuler la moindre alternative cohérente à laquelle l’on pourrait s’agripper.

Le pays étant occupé, on l’a dit,  alors tout le monde attend que l’occupant justement veuille bien créer quelque petit espace où tous pourront faire montre de leurs talents comme depuis 1986. Discoureurs, phraseurs, branleurs, baratineurs, bonimenteurs, affairistes, tous attendant leur tour. Tous en réserve d’une République qui n’existe que de nom. Corrupteurs, corruptibles, corrompus, les scrupules s’évanouissent devant la misère et la difficulté des temps, ils participent tous à la reproduction du système social, et en  assurent la permanence. Ils mangent à tous les râteliers, couchent dans tous les lits, snifent toutes les poudres, et portent tous les bracelets, peu importe leur couleur, surtout le rose en l’occurrence, c’est la couleur tendance, signe d’appartenance, d’adhérence et d’allégeance au fan-club du président du moment. Ils ne veulent surtout pas compromettre leurs chances de devenir  potentats, sous-fifres, chefs, chefaillons. Être ou avoir…été ministre, cela fait chic dans un CV, parait-il. Ah bon ! Sous Martelly aussi, sans déconner!

Et vogue la galère…des affaires

En dépit du bordel ambiant – certains disent que cela participe d’une rigoureuse  division sociale  du travail- le bizness reprend, disons continue, car il ne s’était jamais vraiment arrêté. Les affaires courantes, c’est encore les affaires et si cela se trouve, loi d’urgence aidant,elles sont encore plus juteuses. Demandez à Bellerive! Lui qui… est, entre ce qui n’est plus et ce qui n’est pas encore, l’interface, le lien indéfectible ? Comment fait-il, le funambule, pour rester  toujours en équilibre sur le fil du rasoir ? Par quelle tour de passe-passe arrive-t-il toujours à retomber sur ses pattes, et à rejoindre les Mayard, Lamothe et Cie, et à être de l’équipe du premier cercle du président Martelly, lui l’ancien premier ministre de Préval? Il se dit que Bellerive s’est chargé du lifting de son cousin de président pour que celui-ci soit mieux dans la peau d’un homme d’État; qu’il a été le répétiteur de Martelly d’un accéléré sur la corruption pour les nuls, d’un cours 101 sur la manière de faire du fric sans se faire pincer. Et comme il n’est pas dit que le président n’a pas de terrain fertile pour la chose – et vu sa mémoire exceptionnelle, se plait à répéter un très bon ami montréalais, l’une de ses premières plumes – alors cela n’a pas dû être trop compliqué. Dès lors les motivations et intérêts de Martelly se recouperaient avec ceux de ses devanciers et surtout de son indécrottable cousin. Leur sort étant dorénavant lié, il est sûr d’être intouchable, inatteignable et protégé. Pas bête le Bellerive ! Mais le rapport de la commission d’audit créée par Conille,le premier ministre démissionnaire, sans doute, pour se venger, d’avoir été snobé, marginalisé et humilié par le président et ses hommes, fait état de contrats trop vite bouclés, ficelés et de dividendes encaissées au détriment du pays et notre cher Bellerive, celui-là même qui trouvait la diaspora trop dans la réflexion pas assez dans l’action, est au centre de ce dispositif. Un scandale de plus  dans le royaume de Martelly. La justice si prompte, sévère et inflexible envers les voleurs de poules, le sera-t-elle autant avec ces bandits à cravate ?

Entre-temps, pour le peuple, des annonces, des effets de manche, de la pub, donc du mensonge. Cortège interminable, avion privé, du clinquant et des stars, du carnaval et bateau de croisière mouillant dans la rade des Cayes. Défilé permanent de toutes les huiles du showbiz international, elles nous sont toutes devenues familières, l’on a pu même les toucher…du regard (fascinant, non !). Qu’est-ce que tout ce tralala change dans la vie de la petite marchande, de la femme de ménage, de l’ouvrier, du paysan, de Saintanise, du chômeur, des mutilés et des invalides du séisme? Trop tôt pour y voir les retombées ! Alors  calmons-nous, arrêtons le gaspillage des fonds publics, comme le dénonce le ministre des finances démissionnaire et procédons autrement. Le président et ses hommes ont tort de croire qu’en faisant des largesses tous azimuts que l’on crée des bases et des adhérents ou que l’on constitue des troupes de choc ; les lumpen  sont  avec tout  le monde et prennent de tout le monde. L’on a bien vu, par ailleurs, qu’en pleine distribution de cadeaux,  de motos et d’autos, les réalistes, les désillusionnés ont, comme d’habitude, préféré appareiller pour des ciels lointains, affronter les dents, la mer et les avilissements des garde-côtes américains et brésiliens. Ils en ont marre des circonvolutions des uns, des magouilles et des démagogies des autres. Ils en ont assez vu depuis 1986. Ils préfèrent aimer ce pays à distance, au lieu d’en faire leur tombeau permanent. S’il existe des bordels joyeux, ils ne connaissent pas.

Quand va-t-on vers le mieux?

Le monde d’hier est…aujourd’hui encore. Les vieilles pratiques demeurent. La rupture n’a pas eu lieu. Martelly est dans l’héritage et parait en tirer jouissance et fierté (Voir Martelly ou la défaite de la rupture).Quelle gloire, quelle satisfaction à régner sur cette terre d’érosion et de désolation ? Quelle jouissance à commander cette cour des miracles, à être à la tête d’un pays d’insécurité, de meurtres et d’assassinats ?

La situation demande un peu plus d’humilité. Nous devons admettre nos errances, nos erreurs, reconnaitre nos turpitudes, trouver un lieu où vider tout cela. Seul un travail de mémoire, de vérité, de justice et de lutte contre l’impunité pourra nous défaire de ces pathologies qui nous figent, nous minent et nous détruisent en tant que peuple. Dépasser l’anti-Aristide et l’anti-Duvalier primaires, les règlements de compte et  les zèles amers des uns et des autres pour y voir plus clair et proposer des visions, des propositions, des éthiques différentes. Mais aussi et surtout fixer les responsabilités, punir les fauteurs, les fautifs, les fraudeurs et les faux-culs, car pour citer Einstein,« on ne peut pas régler les problèmes avec ceux qui les ont créés ».

En 5 ans, que peut-on faire de bien durable? Sinon de jeter les bases pour une véritable construction du pays, une reprise en main de notre destin et nous donner un autre horizon pour les 25  et 50 prochaines années. La recette est en chacun des Haïtiens du pays et de la diaspora. Le bond en avant doit être collectif. Une fois la question des criminels de sang et d’argent réglée, il nous faut trouver des occasions de rendre possible la participation de tous. Ces temps-ci, il est question de « Haïti open bizness », mais personne ne sait ce que cela veut dire vraiment. Est-ce un moyen? Est-ce une fin ? Maintenant que Lamothe, l’initiateur et promoteur de l’idée, est désigné premier-ministre, s’il répond aux prescrits de la Constitution, il devra expliquer, exposer et démontrer les avantages pour le pays. Trop souvent, et on le voit encore dans ces contrats de la corruption, bizness rime avec magouilles, pot-de-vins, rétro-commissions pour les prédateurs et pour les petites gens…rien.
Nous devons inventer de nouvelles possibilités d’existence, espérer et construire des lendemains moins sombres pour nos enfants.

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