Le baroud d’honneur de René Préval

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Par Garoute Blanc

Montréal – « Sachez avoir tort – le monde est rempli de gens qui ont raison –
c’est pour cela qu’il écœure ». L.F. Céline

Furieux, suite aux protestations et manifestations du fan-club du candidat Martelly, au lendemain de la proclamation des résultats préliminaires du premier tour du 28 novembre 2010 et au cran d’arrêt du blanc à ses extravagances et ses élans totalitaires de surhomme et de grand manitou qui voulait tout confisquer pour lui et sa clique, il s’était réfugié dans son mutisme légendaire. Cependant, connaissant le mauvais esprit  de l’homme, on surveillait ses moindres actions. En effet, en tant  que politicien  retors, rétif, entêté et rompu aux combines de toutes sortes, tout le monde cherchait à  deviner ce qu’il tramait. Car, à l’instar du petit  garçon à qui l’on a enlevé son jouet fétiche, on était  au courant, il menaçait, comme on dit  » de faire pipi au lit et d’accuser papa ». Il fera montre effectivement de quelques velléités d’autonomie et un tant  soit peu de caractère « pour la galerie, pour se prouver  à lui-même, qu’il est  encore en  contrôle, qu’il existe, et est  toujours  dans  la course » diront certains ; Ricardo Seitenfus, l’ex-représentant de l’OEA en Haïti, sans doute  l’une de ses éminences grises latino-américaines et architecte aussi de la stratégie de la  continuité et  de l’accaparement  du pouvoir à vie  qui lui trouve, par ailleurs,  toutes les  belles qualités  du monde, se prêtant  volontiers  au jeu, accepta même d’être, le 2 mars 2011, décoré à la cloche de bois de la distinction de l’ordre de Grand chevalier par le président sortant qui s’était ainsi fait un petit plaisir personnel. Déjà, c’était des signes  que l’homme blessé n’allait pas rester tranquille et s’avouer vaincu aussi facilement.

Soumis, d’un autre côté, à toutes  sortes de pressions et de tiraillements notamment  de ses anciens  compagnons de lutte, confronté  aux premières défections et  se retrouvant, en outre, sur les bras, avec cet encombrant  Duvalier imposé ou voulu (l’Histoire tranchera), pour rétablir un certain équilibre, se donner bonne conscience et être digne de son passé de « kamoken », il jouera,  mais par dépit,  la carte de son frère jumeau devenu entretemps son ennemi en lui envoyant enfin le fameux passeport sollicité depuis des lustres par ce dernier. La fin justifiant les moyens, futé et adepte de l’aphorisme « puisque les choses nous échappent faisons semblant d’en être l’instigateur », alors  qu’il intègre  le tout dans le continuum de sa lutte contre sa phobie de l’exil et de la prison. L’on peut  bien s’agiter, il ne jugera personne. Qui voudra dès lors le bannir du pays ou le jeter en prison, doit-il se dire,  quand  sous son règne  sont revenus  et Duvalier et Aristide ?  L’on n’a jamais trop bien compris cette peur panique. Si les comptes sont bons et les colonnes balancées,  il devrait être plutôt serein, M. Préval.

En même temps il garde un œil bien ouvert sur les élections, il veut avoir l’entière assurance de ne pas être inquiété, aussi joue-t-il sur tous les tableaux. On l’a vu seul, plutôt détendu malgré son exaspération, aller aux urnes, pour montrer sa bonne foi  et son soutien du processus  électoral. Au pire des cas, il lui reste, le ticket  du parlement. Mais en Haïtien habitué aux choses politiques de  son pays, il sait que  cela ne suffira pas. Si l’exécutif  te fait coffrer, à tort ou à raison, le temps que le législatif et le judiciaire  s’en rendent  compte  et sortent  tout le fatras et  le tralala judiciaires  eh bien !  Ta superbe aura déjà pris un sérieux coup. Ainsi, il vaut mieux  prévenir que guérir. D’autant que l’idée de répondre de sa gestion du pays durant son dernier mandat semble faire  son chemin dans le camp Martelly ; et cela lui fout les boules.

 

Mme Manigat le plan B ?

L’on comprend mieux son obsession d’un(e) président (e) bien à lui. Le plan A bousillé,  place  au plan B (certains prétendent  même que Manigat a été le seul plan de Préval et Jude Célestin n’était, en fait, qu’un leurre – ça se discute – même si l’on n’a jamais su la teneur des échanges du 27 aout 2010 entre Préval et les Manigat).  Quoi qu’il en soit, on n’a jamais vu autant d’indulgence d’une candidate pour un président  sortant dont le bilan est si nul. S’il n’y a pas (eu) de pacte avec Préval- le RDNP, semble  lui avoir, au moins, donné certaines garanties de pouvoir aller couler  en toute quiétude  ses jours  dans son terroir à Marmelade.

Puisque tout se dépeuple autour de lui  et qu’il est incapable de mobiliser le moindre  peuple depuis notamment sa gestion calamiteuse du séisme  du 12 janvier 2010 et sa folie arrêtée de devenir César (Octavianus Augustus) s’accaparant  de tout, comment maintenant faire aboutir son plan… B ? Il pensait pouvoir compter sur quelqu’action de la part d’Aristide (qui doit voir les mêmes ennemis  que lui), un geste  susceptible d’aider sa très magnanime candidate Manigat  à sortir de la pesanteur, à décoller, voire à remporter le scrutin –  car Madame ne sachant plus faire campagne ; son parti, le RDNP, s’est révélé, en la circonstance,  une coquille vide,  sans résonance, sans base et sans  maillage  sur le terrain, en un mot  incapable de  confectionner une candidate à la présidence après plus de 30 ans d’existence. N’était-ce quelques alliances  ça et là,  le résultat serait  encore plus catastrophique. – Or Aristide, sur ce coup-là semble  avoir choisi la prudence et la cohérence et aura de préférence renforcé tout compte fait le camp de l’abstention, ce qui parait logique, vu l’exclusion de son parti Lavalas ordonnée par le même Préval ; Aristide, n’est-il pas connu pour être rancunier ? Admettons qu’il eut été d’une grande clémence : avait-il les moyens de tirer son frère ennemi  de la m… ? Peut-être, à l’instar  d’Antigone II, a-t-il préféré faire face tout seul à ses  ennemis qui l’accusent de tout et s’en remettre à Dieu pour ce qui est  de ses (faux) amis ? L’effet Aristide n’a donc pas opéré et encore moins l’effort de Madame Lassègue dépêchée en renfort. Il était déjà trop tard, la messe était dite, la maison RDNP prenait  déjà l’eau de partout.

En effet, les procès verbaux  sont  affichés dans les bureaux de vote. À l’ère  des NTIC, les nouvelles ont circulé. Peut-être, n’a-t-on pas les chiffres exacts  mais  tout le monde  est au courant  que Martelly a remporté la présidentielle  et INITE ne se sera pas majoritaire au Parlement. Dès lors, le rêve de Préval vole en éclats. C’est la débandade. Tel le diable dans un bénitier, il se démène pour ramener, renverser la situation en sa faveur, tout au moins, essaye-t-il.

 

La logique du chaos
La fin justifiant les moyens, l’homme de gauche, l’altermondialiste, pieds et mains liés au FMI et à la BM, répercute l’augmentation du prix de pétrole le 22 mars sur son peuple qui ne fait plus ses quatre volontés. Ce peuple de nageurs,  qui l’a placé là où il est, va devoir justement nager, pour sortir de la mouise…Fini les faux-semblants de vouloir le soutenir dans sa misère… Le peuple passe à la caisse, en attendant de passer à la casse. L’objectif semble être cela, de provocations en provocations, allumer le feu, foutre le bordel, créer un climat  délétère  et anxiogène  pour que ça explose de toutes parts. Et M. Préval s’affaire à mettre en place, jour après jour, les pièces une à une  du puzzle de la bataille rangée qu’il entend bien provoquer. À deux jours des résultats préliminaires, nouvelle provocation, « report desdits résultats au 4 avril » dit le Conseil électoral provisoire (CEP) suite au dépôt d’un mémoire du camp Manigat sur les irrégularités – on notera que la contestation a précédé les résultats contrairement aux prescrits de la loi électorale, mais qu’importe, les temps pressent, aide-toi Préval t’aidera. Il a bien fallu documenter et accréditer la surprenante décision du report des préliminaires.

Nombre d’observateurs avaient  déjà tiré l’alarme et disaient que cela ne sentait pas très bon au Centre de tabulation. On aurait dû s’en douter, « la caque sent toujours de l’hareng ». Mais pour une fois que le CEP, objet de toutes les  félicitations,  donnait l’impression de travailler…Trop beau… Il a maintenant besoin de délai, le 31 mars ne suffit plus. Explications : bourrages des urnes, irrégularités, quantités de procès verbaux, environ 14%, ne passant pas le test de qualité ISO 9001. Il fallait  bien que le mémoire du RDNP et alliés servent à quelque chose! On croit rêver le CEP se souciant de qualité, les temps changent-ils ? Le CEP n’aurait-il pas pris le temps de former  son personnel ?  14% des procès verbaux mis de côté !

Dans le même temps, il parait que les bien-pensants, les bigots, les faux dévots, les faux-culs les inconditonnels-de-tout-le-monde, les pasteurs de tout acabit, les ovnis et autres  pudibonds,  même ceux là  qui dansaient hier encore  avec lui, tenez ! M. Préval n’est-il pas avec Martelly s’en donnant à cœur joie dans une vidéo sur Internet ? Aujourd’hui, tout  ce beau monde se dresse  en police  de la vertu  pour lui barrer la route sous prétexte de moralité or pour parler de vertu il  faut  au moins être vertueux, cela va de soi. Il a pourtant franchi sans être inquiété et avec succès toutes les étapes voulues par la loi électorale, tout le monde trouvait cela marrant. Aujourd’hui le peuple l’a choisi, l’on ne rigole plus, l’on s’excite, l’on s’émeut, l’on s’indigne, au lieu d’en faire une occasion de vrai débat, l’on est dans le fantasme, dans la haine et le ressentiment. Personne n’en veut. Même pas Préval, lui, le principal responsable du phénomène Martelly. Il entend combattre ce qu’il a lui même engendré par sa politique de courte vue, sa myopie faite de mesquineries et d’exclusion…

Il est pourtant connu, quand il s’agit  de vote et d’élection comme mode d’alternance démocratique, que nul n’a le droit de contester le verdict des urnes. Quand la classe politique française, et plus généralement, la  société française, se sont opposées en 2002 contre  Jean-Marie Le Pen du Front National, qualifié pour le second tour face à Chirac, cela s’est joué derrière l’isoloir. Aucun conseil électoral, aucun président sortant, nul ne peut s’ériger en grand électeur pour s’emparer de l’expression de la souveraineté populaire,  magouillant,  grenouillant pour détrôner l’un au profit de l’autre ?

Dans ces élections devenues secret d’État – a-t-on jamais entendu cela ? – le plan initial, à savoir Martelly, vainqueur pour les préliminaires et Mme Manigat après contestation et correction, la grande gagnante des résultats définitifs, ayant été éventé, donc trêve de considérations et de tergiversations, ce sera, sans ménagement des susceptibilités, Mme Manigat aux deux étapes et préliminaires et définitifs, la grande élue et basta !  Les partisans de Martelly, ceux qui l’ont voté,  assisteront-ils  impassibles au déboulonnement et à l’éviction de leur star ? Le concerné lui-même se laissera-t-il faire ?

Préval, veut-il plonger le pays dans des temps incertains. Les éléments, se mettraient-ils en place pour une guerre civile, version haïtienne de la réalité de la Côte d’Ivoire ?

 

Et le pays dans tout cela ?

Le dernier séjour de Préval chez le camarade Castro ne parait pas lui avoir bien inspiré. Autrement, il saurait  que Castro, malgré quelques erreurs, a toujours eu le souci de son peuple. Quant à lui, il doit encore en faire la démonstration. Cela fait des lustres qu’il ne voit plus les gens…sous les tentes, pour lui, le pays est transparent. Onfray  dirait « un nain juché sur l’épaule d’un géant reste un nain ». Vouloir n’est pas toujours pouvoir, il faut encore avoir les moyens  de sa politique. M. Préval, compte-t-il sur la Minustha  pour réprimer le peuple comme  en 2005 et imposer  son choix ?
M. Préval,  mise-t-il sur Aristide pour lui mobiliser du monde? Aristide, se laissera-t-il instrumentaliser par celui qu’il a toujours qualifié de crétin intégral ? Quel intérêt, Aristide, aurait-il à participer à ce chaos que Préval semble vouloir provoquer? Aristide, est-il rentré bruler son capital de sympathie au profit de celui qui l’a gardé en exil plus que de raison?

Madame Manigat, l’universitaire septuagénaire aux mœurs rigides et non dissolues, marchera-t-elle dans le plan de Préval pour briguer la magistrature suprême ? Au regard des chiffres qui circulent, la candidate du RDNP, pourrait-elle refaire son retard et remporter la présidentielle ? Elle doit lui-même savoir que la chose est peu probable. Se pourrait-il que le destin des Manigat soit  toujours d’accéder au pouvoir dans des conditions pour le moins troubles sous le chantage d’être la dernière chance de ce pays ?

La gestion des milliards annoncés de la reconstruction, donne-t-elle le tournis aux  politiques haïtiens, les empêchant de dormir la nuit, eux qui voient dans le désastre du tremblement de terre  du 12 janvier 2010 une formidable machine à faire  du fric ? Puisque nous refusons  de sortir de cette logique  de tuteur  et de pupille,  le Blanc qui finance tout à hauteur de 60% du budget national, acceptera-t-il de mettre encore une fois la main  au portefeuille pour un peuple de Peter Pan en rupture de croissance et de maturité ?

Haïti,  doit-elle rester un problème sans solution au profit des 5% qui grugent les 95% ? Les Haïtiens, passeront-ils  encore  longtemps à faire l’autruche et à maronner refusant de se prendre en main, de retricoter et de raffermir  l’unité nationale pour une Haïti  nouvelle ?

garoub@yahoo.fr
Cadillac 4 avril 2010

 

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(PHOTO MEDIAMOSAIQUE.Com- Cr.Google -Joseph Michel Martelly de Repons Peyizan, René Préval, le président sortant d’Haïti et Mirlande Hypolite Manigat du RDNP. Martelly et Manigat viennent de s’affronter lors du deuxième tour de la présidentielle haïtienne le dimanche 20 mars dernier)