La presse en Haïti vit dans le dénuement le plus total. Les bureaux ainsi que les imprimeries des deux seuls quotidiens du pays, en l’occurrence, Le Matin et Le Nouvelliste, sont réduits en peau de chagrin. Pour permettre à ces médias, (muselés cette fois, non par la folie coutumière des monarques locaux, mais par les dicktats de la nature), de ne pas assister en spectateurs au déroulement de ce drame qui a pourtant mobilisé l’attention de la planète, le réputé Courrier International leur a offert sa tribune qui va au-delà des frontières. Une édition spéciale sur Haïti a pu être réalisée grâce à la collaboration des responsables de ces deux éditions.
Pour aider à la cause, l’Agence de presse «Média Mosaïque» a également ouvert ses colonnes à ces confrères d’Haïti en acceptant de publier un des papiers dont le titre a été largement repris dans les médias internationaux, notamment au Canada. Il s’agit du texte signé du directeur de la publication Le Matin, Daly Valet. Ce dernier, qui persiste à croire qu’une nouvelle Haïti est née le 12 janvier 2010, se résigne à affirmer qu’il aurait fallu un séisme d’une telle magnitude pour rappeler au monde que les Haïtiens avaient «toujours été orphelins d’État».
L’An I de la Nouvelle Haïti
Par Daly Valet
Il aura fallu ce séisme pour montrer au monde qu’Haïti n’existait pas. En moins d’une minute, ce mensonge vieux de deux siècles s’est dissipé. Port-au-Prince, cette ville arrogante et débonnaire, cette capitale accapareuse qui se prenait pour la République tout entière, est aujourd’hui réduite à l’état d’atome. Elle n’existe plus. Les statistiques officielles, comme d’habitude, restent encore très en-deça de l’ampleur des dégâts. Cent cinquante mille morts ? Quand même! C’est toute une ville de plus de deux millions d’habitants qui vient de disparaître. Des milliers de cadavres gisent encore sous les décombres. La ville pue. De partout. Enfin, de tout ce qu’il lui reste de pores non obstrués par les débris. Combien de morts ? Dieu seul le sait ! Plus d’un tiers de la population ne disposait pas de pièces d’identité, voire d’adresse définie. Les recensements, quand l’Etat s’y résigne, relevaient de la farce. Cet Etat a toujours fonctionné envers le peuple haïtien à la lisière d’une indifférence criminelle. Après le séisme du 12 Janvier, notre président de la République a attendu neuf jours avant de s’adresser officiellement au pays. Comme Godot, on l’attendait et on l’attend encore. Dans la frustration. Bien des urgences requièrent une présence haïtienne et l’affirmation d’une autorité en charge. On attend qu’il démontre enfin un minimum de leadership structuré et de compassion à l’endroit de ce peuple de sans-abri et de ces populations affamées. L’absurde haïtien semble une fois de plus vouloir donner au tragique ses contours inhumains et définitifs.
Moins que des bâtiments en béton, c’est toute une histoire sanglante qui vient de s’effondrer dans le sang. Hélas, du sang, des cadavres comme cette terre meurtrie, ce peuple martyr n’en ont jamais vus auparavant. Nous continuerons à pleurer nos morts des années durant. Mais jamais nous ne pleurerons la disparition de cet appareil d’état corrompu et criminel, historiquement piloté par des profiteurs, des hommes sans grandeur qui n’ont su s’élever à la hauteur des défis et aspirations profondes de cette nation traumatisée, encore en voie de formation. Le séisme a mis bas les masques. Il a fait tout sauter. Des plans politiciens de confiscation astucieuse du pouvoir et de colonisation effrontée des institutions, jusqu’aux lieux physiques où s’organisaient traditionnellement le viol des consciences et la déroute de la République. Jamais l’histoire tourmentée haïtienne n’a pu se lire avec autant de limpidité. Peuple fier et de braves, nous nous sommes finalement rendu compte que nous avons toujours été orphelins d’Etat.
Dans les décennies à venir, il s’agira de reconstruire Haïti. Brique par brique. A pas mesurés et pensés. Sur de nouvelles bases. D’introduire – enfin!- et de faire respecter des normes de construction parasismiques. Le grand saut. Une entrée, certes, violente et saccadée dans la modernité et la normalité du reste du monde, sous l’effet d’une forte secousse tellurique faucheuse de vies mais porteuse de leçons et de vertus, qu’il nous faudra dompter pour ne pas perdre dans notre désordre coutumier le sens des perspectives et des enjeux. Nous ne saurions procéder ni réussir en faisant l’économie d’un vrai dialogue social sur la refondation de l’Etat haïtien et des principes citoyens qui le gouverneront. Un nouveau citoyen Haïtien, revu et corrigé, et un Etat citoyen moderne et humaniste, issu des coordonnées profondes et matricielles d’une nation haïtienne reconstituée et redéfinie, devront nécessairement émerger des décombres de l’actuelle Haïti. Et de sa vielle histoire aujourd’hui défunte. Car, en vérité, les morts stupides de ce séisme ont été aussi et surtout le fait de citoyens et d’un Etat haïtien pareillement stupides.
L’année 2010 devra marquer pour nous l’an I de la Nouvelle Haïti. Et d’une nouvelle Histoire.
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