La DPJ «discrimine-t-elle» les familles haïtiennes?

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Les familles haïtiennes sont victimes de « discrimination et de profilage » de la part de la DPJ, selon Marjorie Villefranche, directrice générale de la Maison d’Haïti.

Mme Villefranche s’est exprimée hier à la commission Laurent, qui se penche sur le système québécois de protection de la jeunesse.

Mme Villefranche a parlé de bébés retirés à la naissance, d’enfants enlevés à leurs parents non pas parce qu’ils sont battus, mais parce que la famille est pauvre, qu’« il manque de jouets, de nourriture dans le frigo ou parce que les enfants sont trop nombreux par chambre ».

Les us culturels sont aussi mal décodés par la direction de la protection de la jeunesse (DPJ), selon Mme Villefranche (dont l’organisme aide tout immigrant dans le besoin).

Elle a donné l’exemple d’une mère qui, tout récemment, est passée à un cheveu de se faire retirer son bébé parce qu’à l’accouchement, elle ne l’a pas étreint d’emblée, mais l’a d’abord regardé, « comme on le fait dans certaines cultures ».

« Trouble d’attachement », a-t-il été décrété sur-le-champ.

« Les intervenants sautent trop rapidement aux conclusions », selon Mme Villefranche, qui croit que plusieurs placements d’enfants pourraient être évités si ce n’était de cette stigmatisation de trop de familles.

Une roue « qui n’arrête pas de tourner »

Mme Villefranche était accompagnée à la commission Laurent de Natacha Romain.

Battue à coups de ceinture par son père à l’adolescence, Mme Romain, qui a aujourd’hui 33 ans, a elle-même porté plainte à la police.

Rapidement, le dossier à la DPJ a été fermé. Elle s’est enfuie de la maison à 15 ans. « Mes parents n’ont pas voulu me reprendre. »

En centre jeunesse, elle a ensuite été fortement médicamentée et mise en isolement à répétition, et ce, pendant six mois à un moment donné, a-t-elle raconté. « Mes droits d’enfant ont été bafoués. »

Elle a fugué du centre à 17 ans et demi. À 19 ans, elle est devenue mère. Dans un moment de grande fatigue, après un cambriolage, a-t-elle poursuivi, elle a frappé son fils à coups de ceinture. « C’est la seule et unique fois que j’ai frappé un enfant, reproduisant ce que j’avais moi-même vécu. »

Son fils lui a été retiré. Quand elle a ensuite accouché d’une fille, en 2009, celle-ci a été prise en charge par la DPJ tout de suite après l’accouchement.

Selon la DPJ, j’aurais abusé de mon enfant, alors que je ne l’ai jamais eue avec moi, hors de l’hôpital.

Natacha Romain

Mme Romain garde espoir que les choses puissent s’améliorer. Elle en veut pour preuve sa petite fille de 2 ans, sa troisième enfant, qu’elle voit grandir auprès d’elle. « Cette fois-là, la DPJ a fait preuve d’humanité, j’ai fait du travail sur moi-même, en plus d’avoir l’aide de la Maison d’Haïti. J’ai accepté des mesures volontaires [de supervision parentale] et aujourd’hui, le dossier est fermé. »

Accompagner les parents immigrants

Marjorie Villefranche, de la Maison d’Haïti, a insisté sur l’importance d’accompagner les parents qui arrivent de l’étranger. « Ils arrivent dans un nouveau pays, ils apprennent qu’ici, les corrections physiques sont jugées inacceptables et ils se demandent : “Mais je fais quoi, à la place ?” » 

Mme Villefranche a raconté avoir elle-même été exposée, dans son travail, à des cas qui l’inquiétaient. Mais jamais elle n’a senti le besoin de faire intervenir la DPJ.

Oui, un coup, c’est un coup, a dit Mme Villefranche, mais « faut-il décréter automatiquement que le parent est incompétent ? »

Lacunes dans la scolarité

La commission Laurent a par ailleurs reçu hier Jennifer Dupuis, présidente du conseil d’administration de Care Jeunesse, un groupe qui vient en aide aux jeunes de la DPJ, y compris après leur sortie du système.

Elle-même une ancienne enfant de la DPJ, Mme Dupuis s’est faite la porte-parole des doléances des jeunes pris en charge par l’État.

Trop souvent, les fratries sont séparées et les jeunes perdent contact avec leurs frères et sœurs.

Les jeunes en centre jeunesse manquent aussi de vêtements et de produits d’hygiène de base, a poursuivi Mme Dupuis.

L’école en centre jeunesse ? Nettement déficiente, à son avis.

Certains cours, comme les sciences physiques, ne sont souvent même pas dispensés. On se dit qu’ils ne sont pas nécessaires à l’obtention du diplôme de secondaire 5. Peut-être, mais ils sont nécessaires pour ceux qui veulent aller au cégep.

Jennifer Dupuis, présidente du conseil d’administration de Care Jeunesse, à propos de l’éducation en centre jeunesse

De façon générale se désole Mme Dupuis, les jeunes de la DPJ ne sont aucunement encouragés à poursuivre leurs études au cégep, et rares sont ceux qui y vont.

Destiny Grégoire, qui a elle aussi été prise en charge par l’État et qui est en voie de devenir travailleuse sociale, a expliqué à quel point elle a été exceptionnellement chanceuse de n’avoir eu que deux familles d’accueil. « Ma mère – de famille d’accueil, je veux dire – croyait que tous les enfants ont droit à une famille. Elle était vraiment gentille. La plupart des jeunes changent sans cesse de foyer. C’est trop chaotique, c’est impossible dans ces conditions de développer un sentiment d’appartenance à une école, par exemple. »

Mme Grégoire a aussi rappelé qu’à 18 ans, contrairement aux jeunes qui sont encore dans leur propre famille, les enfants qui sortent des centres jeunesse n’ont pas de petits soupers mijotés pour eux ou une épaule consolatrice sur laquelle s’appuyer lors de coups durs.

Les jeunes de la DPJ se retrouvent souvent à la rue, sans ressources, sans assez d’argent pour payer le cégep ou des soins dentaires.

Une acculturation

Quand on est autochtone, comme Mme Grégoire, s’ajoute une douloureuse acculturation.

« Je ne le savais pas, moi, que c’était quelque chose de formidable d’être une autochtone, de faire partie des premiers peuples du Canada. J’aurais eu besoin d’un mentor, j’aurais eu besoin qu’on me parle de l’histoire de mon peuple. Je n’ai rien eu de cela. Je suis en train d’apprendre à parler cri. »

Pas tous des délinquants

Appelé à son tour à témoigner, Alexandre Bulon-Biciol a aussi parlé d’une scolarisation déficiente en centre jeunesse.

« C’est français, anglais, maths. Tu ne peux pas aller au cégep avec ça. » Et non, ce ne sont pas tous les jeunes qui ont envie de devenir ébénistes ou menuisiers.

Mais au-delà de cela, M. Bulon-Biciol dit s’être senti traité non pas comme un être humain, mais comme un numéro.

Il a expliqué avoir été la cible de trop d’interventions et de mises en isolement non justifiées, ce qui ne faisait qu’attiser sa colère contre les éducateurs.

Arrêtez de traiter tous les jeunes de la même façon. On m’a traité
comme un délinquant. J’étais là parce que j’avais des problèmes
avec ma famille et à l’école. Traite-moi pas comme quelqu’un qui a fait un vol à main armée. Je ne suis pas cela.

Alexandre Bulon-Biciol, à propos de son expérience en centre jeunesse

Lors des changements de quarts de travail, a-t-il aussi raconté, « il faut que tu demandes la permission pour aller aux toilettes ».

À 16 ans, M. Bulon-Biciol a fait une tentative de suicide. Avant sa sortie de centre jeunesse, on lui a tendu une demande d’aide sociale, ce qu’il a perçu comme si on ne lui voyait pas d’autre destin.

Laissés à eux-mêmes

Caroline Dufour, directrice stratégie et impact social de l’organisme Dans la rue, a rappelé pour sa part que 50 % des jeunes que reçoit l’organisme Dans la rue proviennent des centres jeunesse.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Caroline Dufour, directrice stratégie et impact social de l’organisme Dans la rue

On leur demande d’être adultes avant le temps et ils ne sont pas prêts.

Caroline Dufour, directrice stratégie et impact social de l’organisme Dans la rue, à propos des jeunes de passage dans les centres jeunesse

Pour la deuxième journée d’affilée, la DPJ a essuyé des critiques sévères lors de la commission Laurent, qui a choisi d’entendre d’abord beaucoup de jeunes et d’organismes qui les aident.

Mme Dufour a insisté : les intervenants de la DPJ ont tous de bonnes intentions, à son avis.
Le problème vient plutôt de « lacunes organisationnelles et de disparités dans le système,
d’une région à l’autre ».

Jennifer Dupuis, de Care Jeunesse, a évoqué pour sa part « l’erreur » qu’a été la loi 10 de l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette.

Cette loi, promulguée en 2015, a vu la DPJ être intégrée à un réseau de la santé lui-même très centralisé à cette occasion.

Depuis lors, les services sont en baisse, a déploré Mme Dupuis.

Mediamosaïque avec La Presse

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