Haïti-Reconstruction: la chance qui passe… (Colloque de Montréal)

1217

Haïti a toujours  raté les opportunités qui s’offraient  à elle  de faire  son catharsis et de trouver les  voies  de sa refondation. Tout le monde espère que cette fois-ci, à la faveur du séisme du 12 janvier dernier, qu’elle ne laissera pas filer une fois de plus cette chance de construire un pays autre où l’on peut vivre avec un minimum de décence. Si la nation est dans cet état, si les causes et  solutions à nos malheurs ne sont pas connues ni  trouvées,  alors  qu’elles sont  dans tous les livres, les rapports et autres études,  il faut croire  qu’il y a vraiment  une   absence d’un « vouloir vivre ensemble »(1) .

Les Haïtiens comptent  parmi les plus brillants, les plus intelligents. Ils sont, pour la plupart,  des sommités et  occupent dans  toutes les  sphères politique, économique et socioculturelle, un peu partout à travers le monde, les postes des plus prestigieux. Ils  n’ont donc rien à envier à personne, ajoutons, individuellement. Mais, quand il s’agit  de se mettre ensemble, là commence  le drame. Collectivement, nous  sommes nuls et débiles. En effet, « Il n’est  de nous que  1804 »(2), depuis   c’est  le bordel,  le chaos.

Réunir autant  d’organisations et de personnalités de la communauté au Québec, environ une vingtaine, au sein du Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle et qu’elles soient capables  de taire  leurs petites corporations  et intérêts de clocher,  sans  qu’il y ait  de conflit  de paternité  ou d’obédience, et attendre plus 500 participants pour le colloque des  4 et 5 mars,  dans un seul  même lieu, pour  discuter, échanger, dire leur  vision   et  proposer  des solutions  pour le devenir  de leur  pays d’origine, cela tient presque  du miracle et mérite, par conséquent d’être encouragé.

Plus  qu’un encouragement, nous voyons,  à travers cette  rencontre à Polytechnique, l’occasion , si nous  le voulons  bien, de donner  le coup d’envoi à cet autre pays; de retrouver et de renouer avec ce nous collectif qui nous  fait tant défaut; de se prendre en charge, de se remettre en marche, de se serrer les coudes  et de reprendre  la trame du tissu social haïtien que  tant d’accros et  d’escrocs ont déchiré, dilapidé et avili.

 

Le poids de la diaspora
 
Si la diaspora demeure, du haut de  ses deux milliards de dollars de transferts, un apport  considérable dans l’économie  du pays,  soit  35% du produit international brut, si l’on se souvient d’elle, de ses compétences,  de ses expertises,  de sa capacité à mobiliser des fonds  à chaque pépin ou grosse embrouille, à chaque malheur, à chaque catastrophe, mais  les choses se gâtent régulièrement quand il s’agit  de  traduire dans les faits son  poids réel , d’envisager  sa participation  effective dans la chose publique. Car, son implication, au-delà  de la simple vache à lait,  a toujours été perçue  comme une compétition malvenue, déloyale et fâcheuse, donc infréquentable. Tel  dans un diner avec le diable où il faut prévoir  une cuillère à long manche , elle a toujours été ainsi tenue à distance : la constitution haïtienne  la rejette, en  ne reconnaissant  pas  la double nationalité ;  les tentatives d’amendement  pour son accès  au droit  de vote, comme de juste, n’ont jamais  abouti, sinon à des recommandations pour  des tiroirs, des archives mortes ; quant au Ministère  du dixième département devenu ministère des Haïtiens à l’étranger, c’est à se demander  son utilité…

Reconnaissons-le,  Jean-Max Bellerive, le premier-ministre haïtien  compte la diaspora parmi les  cinq volets importants de la refondation d’Haïti, et précise que si elle n’est pas intégrée aux cotés du  secteur privé,  la  société civile,  la jeunesse, les  forces politiques, «  il n’y aura pas  de réussite des propositions  qui  sortiront  des travaux du PDNA »(3) . De la parole aux gestes, non seulement il appuie l’initiative  du  colloque  des Haïtiens du Québec, il en épouse même  la philosophie  de « voir Haïti comme un pays émergeant d’ici 2030, société de la simplicité, équitable, juste et solidaire… »(4) . Effet de manche,  phrase de tribune ou volonté politique affirmée  du premier-ministre de changer  de paradigme ? Reconnaissance  enfin de la diaspora comme une façon de financer le développement d’Haïti, une porte de sortie à notre dénuement, comme l’écrit Lesly Péan?(5)

Mais quand on sait que son gouvernement est décrié, et l’État   infantilisé et   considéré,  de facto, comme la « pupille  du monde »(6) , la caution de M. Bellerive  suffit-elle? Souvenons-nous  du  grand congrès  des ingénieurs,  architectes  et techniciens haïtiens  tenus  à New-York  les 6 et 7 aout  1994, supporté également  par le  gouvernement  constitutionnel d’alors, avec en prime  le discours du  président Aristide  lui-même, dans ce pays toujours  à construire ou à reconstruire, c’était   déjà l’urgence  de la reconstruction  horizon 2004. Les actes  de ces assises ont-ils été appliqués ? Quid des résultats  du congrès de l’Unité de la diaspora haïtienne du 6 août 2009 ? Quelles  leçons  avons-nous tiré  de nos  erreurs, de nos errements  passés ? Certes, l’on ne  construit rien de solide  et  de durable  de l’extérieur, il faudra effectivement  trouver des passerelles et des possibilités de  maillage  du dedans et du dehors(7) , mais quels mécanismes la diaspora s’est-elle donnée cette fois-ci, pour faire   aboutir  sa conception de la reconstruction et de la refondation de l’État ?

 

Le souci d’une structure

Par delà les manifestations  de sympathie et de reconnaissance  de son importance exprimées   généralement du bout des lèvres, la diaspora  doit  se  doter d’une structure indépendante , autonome et non cooptée, ni inféodée  à quelque pouvoir que  ce soit,  lui permettant de négocier  et  discuter, en toute liberté,  tant  avec les  Haïtiens  du pays  qu’avec les pays dits amis   de la communauté internationale. À ce titre-là, ce colloque doit être un creuset, le réceptacle  des aspirations  d’un nouvel État, loin du  système  fondé sur le mépris  et le rejet  de l’autre, un État qui ne soit  pas  contre  la nation  et une nation contre la société, mais un État pour sortir  de la misère  et des tourmentes, pour  sortir  de la corruption et  de l’impunité,  bref un État de droit susceptible de remettre  sur pied  ce pays  brisé, ce pays cassé.

Il s’agit d’un combat  sur  deux fronts  simultanés  et à l’intérieur contre  l’exclusion, contre ces  élites haïtiennes  vivant, sans scrupule ni  honte  à coté  de  tant d’injustices et d’ inégalités, et   à l’extérieur, contre la domination  et l’exploitation des pays  du centre sur les pays  périphériques, contre le néolibéralisme, contre ce modèle économique imposé et  inadapté.   

De ce colloque devrait  au moins émerger une structure d’observation et  de veille  pour le suivi des recommandations  qui sortiront au bout de ces deux jours. Elle devrait  comprendre,  entre autres,   les élus canadiens et québécois d’origine haïtienne.  Le même modèle  devrait être dupliqué partout où se trouvent  des natifs natals (8), dans  la perspective de la création  d’une structure, un peu sur le modèle  et l’architecture du Congrès haïtien mondial  envisagé par Georges Anglade, péri lors  du  tremblement de terre. Reprendre  en quelque sorte sa carte de la diaspora, dans le cadre de la reconstruction d’Haïti tel que  le suggère Elsie Haas(9) . Ce serait  une  autre manière de rendre  hommage au courage de ce géographe, ce politicien , cet écrivain et  à son engagement, lui,  qui  a  toujours  milité pour  une organisation de la diaspora et  le changement en Haïti. 

Si nous ne saisissons pas  ce moment pour structurer le mouvement des Haïtiens dans le monde, l’international imposera  toujours  ses vues, notamment  lors des  nombreuses  conférences et réunions programmées  aux Antilles,  à Santo-Domingo, à New-york et nous continuerons à nous plaindre de notre  faiblesse , notre  incapacité à négocier et de ne pouvoir faire passer nos vues. Et  la diaspora  dépourvue d’organisation sera  toujours  traitée  comme une fiction, et  instrumentalisée à souhait par quelques petits malins. La nouvelle Haïti passe par là aussi, l’organisation.

Autrement,  continuons  à faire  ce que nous  savons faire si bien,  nous  positionner  pour obtenir des petites  parts de marché, bizness as usual,  perpétuons la flibusterie et emportons-nous,  énervons-nous , cassons  le  miroir quand il nous est  tendu pour voir  notre laideur.
 

 

 

(1) Jean-Pierre Brax, Haïti pourquoi faire ? L’Harmattan, Paris, 1987
(2) Lyonel, Trouillot, Haïti : (re)penser la citoyenneté, Haïti solidarité  Port-au-Prince 2001.
(3) Sigle anglais pour évaluation conjointe  des besoins après désastre, lors  d’un discours prononcé le 18 février 2010 au Caribe Center, Haiti.
(4) Id.
(5) Lesly Péan, Les transferts financiers de la diaspora et le financement du développement d’Haïti, AlterPresse, 17 aout 2009
(6) L’expression est  de Régis Debray, Le Monde, 19 janvier 2010
(7) L’expression est de Georges Anglade document pour le Congrès haïtien mondial inspiré du « Le Congrès juif mondial
(8) Autre appellation des Haitiens
(9) Lu sur son blog

*Garoute Blanc
garoub@yahoo.fr 

À noter que ce texte de Garoute Blanc a été écrit et diffusé alors que se déroulaient les assises du Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle tenues les jeudi 4 et vendredi 5 mars 2010 à l’Université de Montréal (École de Polytechnique).

PHOTO (En haut, une vue de ce qui reste du plus grand luxueux complexe hôtelier de la capitale haïtienne, le Montana)