Haïti sous la loupe d’un laboratoire d’universitaires (GRAHN)

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Le leadership de l’ingénieur Samuel Pierre amorce incontestablement une courbe ascendante. L’après-séisme du 12 janvier a révélé, au su et au vu de tout le monde, ses talents de rassembleur.  Ce chercheur et professeur titulaire de Polytechnique, la prestigieuse école de génie du Canada, a réussi le tour de force de réunir autour de lui, (ce qui n’est pas facile dans le cas des Haïtiens), plusieurs dizaines, voire plus de 200 chercheurs et universitaires, mettant désormais Haïti, via le GRAHN, au cœur de leurs préoccupations.

Fruit tangible de leurs savantes élucubrations, un ouvrage collectif, dénommé «Construction d’une Haïti nouvelle», réalisé sous sa direction, publié récemment après plusieurs séances de travail, de télétravail et de rencontres, en coulisses et devant les caméras du monde. La démarche de Samuel Pierre devient plus que pertinente et cruciale pour Haïti, quand on sait que ce pays s’est fait chiper la quasi-totalité de ses meilleurs cerveaux par l’Occident, dont le Canada.

Toutefois, au-delà des pistes de solutions à même de remettre Haïti sur les rails, clairement formulées par ce collectif, l’Agence de presse MÉDIAMOSAÏQUE s’est plutôt intéressée à questionner les idées, les motivations, les préoccupations, les ambitions, le profil de l’entourage de Samuel Pierre. Il a répondu à nos questions avec la plus grande courtoisie. Ci-dessous,  le verbatim complet de cette entrevue.


MÉDIAMOSAÏQUE :
Professeur Samuel Pierre bonjour !
ING. SAMUEL PIERRE :
Bonjour Donald Jean, bonjour MÉDIAMOSAÏQUE !

*MÉDIAMOSAÏQUE : Vous vous associez à toute une pléiade d’intellectuels dont le mérite est reconnu un peu partout en Occident pour publier via le GRAHN un livre proposant des éléments de solution en vue de la reconstruction de votre pays d’origine ravagé, on le sait,  il y a un an par un puissant séisme, dites-nous tout d’abord pourquoi un livre ?
ING. SAMUEL PIERRE : Eh bien, nous croyons que nous sommes dans une culture de l’écrit en Occident et il y a une petite phrase qui dit «les paroles s’en vont, les écritures restent»,  c’est la raison pour laquelle nous avons cru qu’il fallait sortir de cette culture de l’oral qui est propre à nous les Haïtiens pour inscrire sur du papier les idées, les propositions qu’on aurait dû formuler. Il faut bien comprendre aussi, le fait que ce soit inscrit dans des livres, veut dire qu’on s’engage dans une démarche transparente pour partager nos réflexions avec d’autres personnes.

*MÉDIAMOSAÏQUE : Faites-nous la genèse, esquissez-nous le profil de vos collaborateurs et vous aviez proposé quoi  dans ce livre?
ING. SAMUEL PIERRE : D’abord nous avons formé dix (10) comités thématiques  dans des domaines aussi variés que l’aménagement du territoire et l’environnement, le développement économique et la création d’emplois, les infrastructures nationales, la santé publique et la population, la solidarité et le développement social, la reconstruction de l’État et la gouvernance, le système éducatif haïtien, la culture et le patrimoine, les interventions urgentes et post-urgentes. Tout ça a été couvert par les dix (10) comités de travail incluant un comité de planification globale et de financement.
Ce sont des personnes dont le plus grand nombre d’entre elles se retrouvent au Canada , à Montréal, Ottawa, Québec, Trois-Rivières. C’est aussi des gens qui vivent aux États-Unis, même aussi en France qui ont accepté de collaborer bénévolement avec nous de façon à participer à ce travail de réflexion citoyenne. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : c’est une réflexion citoyenne où les gens du 20 janvier jusqu’au 16 septembre ont investi énormément de leur temps pour participer à cette réflexion collective.


*MÉDIAMOSAÏQUE :
Vous aviez privilégié quel type de méthodologie pour articuler tout ça et aussi comment les appliquer, ces éléments de solution, sur le terrain ? Confiez-vous cette charge de travail au gouvernement qui sera installé le 7 février 2011 ?
ING. SAMUEL PIERRE : Personnellement moi, je suis dans une culture pratique quotidienne, de réflexion et de recherche. Mes réflexions et mes recherches, je les verse dans la nature qui est pour moi la communauté scientifique. Et dès lors que je verse tout ça dans une communauté scientifique tout le monde a accès à ces informations : on les utilise ou on les utilise pas. Donc, je m’inscris dans cette démarche, et au GRAHN on fait un peu la même chose. Nous sommes des gens qui avons le droit à une réflexion et à une participation citoyennes, on exerce ce droit, maintenant on serait très heureux de voir d’autres personnes les appliquer.

La réflexion que nous avons faite, ce n’est pas une réflexion qui s’inscrit dans le court terme, parce qu’on part du constat que les problèmes d’Haïtiens sont d’une complexité telle qu’on ne pourrait pas, d’une façon réaliste, espérer à trouver des solutions durables dans le court terme. Certainement, on droit trouver des palliatifs aux problèmes. Il y en a qui sont très urgents, mais le problème de fond n’a pas de solutions dans le court terme. Donc, nous nous retrouvons dans une dynamique de travail étalé sur le temps et la période temporelle qu’on a choisie est une période de 20 ans. Donc, ça prendrait un minimum de 20 ans pour avoir des résultats qui pourront être mesurés et ressentis par le pays.

De là, il n’est plus question pour le prochain gouvernement qui sera installé, on le souhaite, en février 2011. Ce gouvernement dispose d’un mandat de cinq ans, et nous, étant donné qu’on parle d’une période temporelle de 20 ans, ça nous prend quatre gouvernements successifs avec lesquels on pourrait composer si on veut véritablement que nos idées s’inscrivent dans l’action.

*MÉDIAMOSAÏQUE : Si l’on parle du gouvernement sortant qui avait dépêché des gens hiérarchiquement bien placés à vos sorties publiques, est-ce le signe que cette équipe-là avait fait montre d’une oreille positive à vos savantes élucubrations ?
ING. SAMUEL PIERRE : D’une manière générale, les Haïtiens qui veulent le bien du pays perçoivent très bien la démarche du GRAHN. La raison est simple. Parce que voilà des gens qui se sont dressés presqu’en une seule personne, qui disent, ce qui est très rare en Haïti, qu’on va se mettre ensemble pour penser, réfléchir sur le pays. Et, ils ne demandent absolument rien pour le faire, ils le font un peu à leur corps défendant et selon les moyens dont ils disposent avec toute la bonne foi qu’on leur connaît. Donc, pour moi, si quelqu’un veut vraiment le bien de ce pays, il devrait applaudir une telle démarche. Et c’est peut-être ce que certains ont commencé à comprendre, du côté haïtien, qui fait que, d’ici ou ailleurs, qu’il y a un certain intérêt pour les travaux du GRAHN.

On sait que c’est une société où la concorde n’est pas toujours au rendez-vous. Souvent, ce qui est le plus facile à faire, c’est de tirer sur tout ce qui bouge, et comme nous bougeons on devrait s’attendre à ce qu’on tire sur nous, mais heureusement, pour l’instant ce n’est pas ce à quoi nous avons droit, donc tant mieux si on peut continuer et maintenir les gens dans ce climat de motivation qui puisse nous permettre d’avoir foi dans l’avenir.

*MÉDIAMOSAÏQUE : Peut-on qualifier vos propositions de solutions endogènes, à l’inverse, exogènes ou provenant de l’international ? Vous êtes quand même tous des Haïtiens d’origine même si malheureusement votre expertise ne sert  qu’à faire avancer les sociétés occidentales, comme le Canada par exemple?
ING. SAMUEL PIERRE : En fait, je peux vous dire une chose que moi, en tant que membre du groupe, j’ai une tradition d’indépendance d’esprit, en tant que scientifique d’abord, chercheur universitaire, j’ai une tradition d’indépendance d’esprit. Je ne me laisse pas dire ce que je dois penser. Je ne me laisse pas amener dans un rôle pour répercuter les idées des autres. Cette tradition d’indépendance me laisse croire que je dois exprimer le fond de ma pensée, et cette pensée-là, pour l’exprimer, je dois avoir une foi là-dedans.

Maintenant, les gens du GRAHN qui sont à peu près de la même tendance, qui partagent ces mêmes valeurs d’esprit, c’est des gens qui ne se laissent pas dicter leur pensée. Doc, la pensée qui est véhiculée au sein du GRAHN c’est une pensée bien haïtienne. Maintenant, je dois faire une nuance, lorsqu’on dit pensée haïtienne, c’est dans le sens noble du terme, des gens qui pensent pays, qui pensent le progrès de ce pays et qui le font avec la bonne volonté  à des gens.

Donc, c’est une pensée bien haïtienne. Les gens peuvent facilement le voir dans l’analyse qui sous-tend nos propositions dans le livre, vous allez voir que ce sont des propositions typiquement haïtiennes, qui s’inspirent de la réalité et de l’histoire d’Haïti, mais avec une approche scientifique. Ce n’est pas une approche de pensée magique. C’est une approche analytique. On prend les problèmes tels qu’ils sont, on les examine sans complaisance et à partir de là on essaie de trouver des solutions mais en mettant à profit des approches scientifiques.

*MÉDIAMOSAÏQUE : Samuel Pierre, vous insistez sur le terme contribution citoyenne, doit-on comprendre que le GRAHN est un groupe qui n’a pas d’accointances politiques. Vous êtes apolitique et vous entendez le rester ?
ING. SAMUEL PIERRE : Écoutez, je le redis, nous faisons un travail citoyen et ce travail citoyen-là, nous ne pouvons l’inscrire dans une démarche de court terme liée aux gens qui occupent le pouvoir ou qui l’occuperont bientôt étant donné que notre travail privilégie le long terme et qu’il devrait s’appliquer par au moins quatre gouvernements successifs.

 

SUITE ET FIN DE L’ENTREVUE AVEC SAMUEL PIERRE:

 

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PHOTO MEDIAMOSAIQUE Cr Google (En haut, une vue de l’assistance lors de la conférence des 20 et 21 mai 2010 du GRAHN à l’Université de Montréal. En bas, le professeur Samuel Pierre en train de recevoir un prix saluant sa carrière de chercheur à l’École de Polytechnique)