Par Wilson Saintelmy(1)
MONTRÉAL – Une deuxième humiliation qu’est l’élection triomphale de Micky à la présidence d’Haïti pour l’élite créole haïtienne, après celle qui lui a été infligée en 1990 par Jean Bertrand Aristide. Discrètement, les néo-duvaliéristes jubilent et ceci, avec raison. Ils célèbrent leur retour sur la scène politique haïtienne par la grande porte: Celle du suffrage universel, fixée sur la façade la plus célèbre et la plus prestigieuse du pouvoir haïtien: La présidence de la République, après y avoir été expulsés dans la honte, un quart de siècle plutôt.
Martelly, le porte-étendard de la génération hip hop
La reconquête de la présidence haïtienne par les néo-duvaliéristes à travers la victoire non équivoque de l’un des leurs à l’élection présidentielle de 2011, aura été tout aussi spectaculaire que la prise du pouvoir par l’opposition anti-duvaliériste en 1990. Micky est à Madame Manigat ce que Titid fut à Marc L. Bazin. Par-delà sa facture démocratique, la victoire de Micky est une victoire plurielle et étagée. Les perdants le sont tout autant, à commencer par la gauche haïtienne, effacée de la carte électorale, dès le premier tour. S’il y a eu fraudes et manipulations, ce fut pour le bonheur de la génération Hip Hop haïtienne. Celle-ci voit en Micky le nouveau visage du messianisme haïtien et l’emblème du populisme subversif. Que Micky se fasse plébisciter par la génération Hip Hop en ridiculisant l’élite politique et créole haïtienne, voilà qui en dit long sur la crédibilité d’une telle élite. N’était-ce Micky, ç’aurait été Clef (Wyclef), un autre outsider de la classe politique traditionnelle. Le plus drôle, ce n’est même pas Michel Martelly qui a fait campagne et qui a été élu. Mais bien, Micky, un célèbre saltimbanque, de surcroit, bénévole pour Michel Martelly. Encore là, il est trop tôt pour dire qui, de Sweet Micky ou de Michel Martelly sera le Président effectif. Jusqu’à présent, le duo Martelly-Micky coopère à merveille et fait le bonheur de la génération hip hop haïtienne.
Mais qui sera Président: Micky ou Martelly?
Notons tout de suite que la débâcle infligée à l’ex-Première Dame par l’électorat haïtien n’a rien de personnel. Bien au contraire, elle tient lieu d’un autre désaveu historique, sinon, d’une deuxième mise en demeure, après celle de 1990, adressée à l’élite créole haïtienne de droit divin. La victoire de Micky est d’abord et avant tout celle de la génération Hip Hop haïtienne, éprise par la nostalgie de la dictature duvaliérienne et jalouse des générations duvaliériennes d’avoir vécu des jours plus cléments. La génération Hip Hop haïtienne est nostalgique des décennies plus «sécuritaires», plus radieuses et, de surcroît, illuminées par la perspective d’un avenir prometteur ou d’une rédemption sociale. Et ce, au prix fort modique d’une adhésion au duvaliérisme et/ou au jean-claudisme. La victoire de Micky est aussi la conséquence logique de la rébellion doublée de l’animosité inextinguible de la susdite génération Hip Hop envers les figures emblématiques des 207 ans de gouvernance créole et catastrophique d’Haïti. La victoire de Micky est l’expression d’une jeunesse révoltée contre l’élite haïtienne de droit divin. La même génération Hip Hop fut à l’origine, en aout 2010, d’un ouragan prénommé Wyclef, qu’elle a transformé en Tsunami Micky au deuxième tour des élections de 2011. Il s’agit, d’une part, de contrecarrer les ambitions dynastiques du Président Préval, et, d’autre part, de dénoncer l’éthos de droit divin de l’élite politique et créole haïtienne.
La victoire de Micky est également la rançon parricidaire que doivent payer les fidèles de Titid en retour de leur adoption par le prêtre du Kompa. Micky est à la droite radicale et autoritaire haïtienne ce que Titid fut, avant sa créolisation, à la gauche utopique haïtienne. Avec 68% du suffrage exprimé, la victoire spectaculaire de Micky lui donne autant de légitimité démocratique que Titid au terme de l’élection présidentielle de 1990. La victoire de Micky matérialise le vieux rêve péroniste des Duvaliéristes de se voir réhabilités par l’histoire. Elle a été programmée par l’échec spectaculaire de l’opposition anti-duvaliériste. Un quart de siècle après avoir été évincés du pouvoir comme des parias et perdants de l’histoire, l’incompétence et l’amateurisme de la susdite opposition anti-duvaliériste, ils ont magistralement préparé la résurrection politique de leurs adversaires duvaliéristes. La victoire de Micky dénote l’incapacité de l’élite politique et créole haïtienne à s’affranchir de son éthos de droit divin. Autrement, elle aurait appris de sa capitulation éhontée et combien lourde de conséquences devant le Petit Prêtre de Saint Jean Bosco en 1990. Après Titid, Micky et dans cinq ans, ce sera surement Clef (Wyclef) ou un avatar de celui-ci, qui risque d’infliger une autre débâcle à l’élite haïtienne de droit divin. La rupture est réelle entre celle-ci et la génération Hip Hop. Tout comme elle le demeure avec l’arrière pays. La victoire de Micky avec le même score que Titid en 1990 a révélé une vérité implacable et une implacable vérité. Titid et Micky ne sont pas si forts que cela. C’est l’élite haïtienne qui est myope et tout aussi coupée de l’arrière pays qu’elle l’est de la génération Hip Hop haïtienne.
Deuxième gifle de l’électorat à l’ »élite créole de droit divin (2) »
La victoire de Micky est celle de la génération Hip Hop, laquelle refuse de s’identifier à l’élite créole de droit divin d’Haïti. Une telle victoire s’inscrit dans la continuité du duvaliérisme après un hiatus d’un quart de siècle; hiatus qui a vu la gauche haïtienne s’avilir et s’humilier avant de se dissoudre dans la médiocrité et le déshonneur. La victoire de Micky est celle d’une génération qui se décroche de la durée sociologique en reniant l’éthos créole de droit divin des élites haïtiennes. Elle préfère le risque Micky au régime de vérité féodale de ces élites. Sous cet angle, Madame Mirlande Manigat a payé le prix fort pour son groupe de référence sans être elle-même particulièrement ciblée. Elle est davantage sacrifiée pour ce qu’elle représente que pour ce qu’elle est ou ce qu’elle a et/ou aurait fait. Tout comme Micky a gagné moins pour ce qu’il est mais davantage pour ce qu’il représente et ce qu’il a fait, notamment, aux yeux de la génération Hip Hop; laquelle génération a grandi avec la musique et les grivoiseries de Micky sans lui en tenir rigueur. Le combat qui a emporté l’ex-Première Dame est et demeure essentiellement un combat intergénérationnel.
La génération Micky est la génération Hip Hop. La génération Hip Hop est aussi celle de Barak. À l’opposée, la génération Mirlande est la même que celle de McCain, qui ne s’est construite aucune passerelle avec la génération Hip Hop (et génération nexus). Fort de cette réalité implacable, Micky s’est mis en scène, armé de sa rhétorique du changement à la Barak, duvaliérien et duvaliériste dans la substance. Résultat : Il a raflé 68% du suffrage exprimé. La formule a été fort payante pour lui. Par contre, elle demeure fatale et terrible pour Titid et les Titidiens. Ces derniers ne disposent plus du monopole de la légitimité démocratique. Le prêtre grivois du konpa a détrôné le Prêtre démagogue de la théologie de la libération. La victoire de Micky est triomphale, incontestable et spectaculaire. Elle est la victoire d’une génération décomplexée, obsédée par la quête de la dignité et d’un futur plus prometteur. Une génération révoltée contre l’élite créole haïtienne de droit divin et décidée à congédier une telle élite à laquelle elle impute le naufrage de l’État nation et de la modernité en Haïti. Le recours au suffrage universel et démocratique par la génération Hip Hop mais non à la rébellion armée pour parvenir à ses fins, impose une obligation éthique aux camps adverses. Celle de reconnaître et de respecter la légitimité démocratique du Président de la génération Hip Hop. Fut-il un néo-duvaliériste, grivois dans sa carrière d’artiste et de saltimbanque.
Impératif à l’émergence du chef de l’État Martelly: la retraite de Micky
Pour réussir à émerger comme le véritable Président d’Haïti et se parer d’une carapace de Chef d’État, Martelly doit définitivement se débarrasser de Micky. Aristide a voulu demeurer fidèle à Titid. Ce fut là son erreur fatale. Une fois confirmés les résultats définitifs, il est impératif pour Martelly d’imposer une retraite bien méritée à Micky, quitte à le forcer et le contraindre. Et ceci, en dépit de son parcours presque sans faute, notamment, durant la campagne électorale. Le public, incluant les médias, les adversaires politiques et les concurrents de Micky, doit désormais faire le deuil de celui-ci pour permettre au Président Martelly d’émerger. À moins que celui-ci ne parvienne à prendre ses distances par rapport au candidat Micky. Dans ce cas, le prochain quinquennat présidentiel sera, à coup sur, un lamentable échec. Au même titre que celui de Titid. D’un autre coté, il est souhaitable que les Haïtiens (nes) fassent preuve de maturité démocratique. Il est souhaitable que l’élite créole haïtienne s’abstienne de commettre la même erreur historique qu’elle a commise avec Titid en 1991: Boycotter et diaboliser le nouveau Chef d’État au lieu de l’encadrer doctrinalement, de l’aider à combler ses lacunes et, in fine, de coopérer avec lui pour le meilleur de l’armée des déshérités du pays. Il est tout aussi souhaitable que le Nouveau Président s’abstienne des mêmes erreurs que son avatar de la gauche, c’est-à-dire se comporter, comme lui, en chef de bande mais non en Chef d’État. Il incombe à M. Martelly de s’affranchir de la posture clownesque de Micky pour se transformer en Chef d’orchestre d’un petit peuple porteur de l’idéal d’une grande nation. Il est souhaitable que le nouveau Président se donne une éthique de la victoire et incite ses supporters à en faire autant. Il est tout aussi souhaitable que le nouveau Président sache fédérer et mobiliser les trois Haïti : Celle du dehors, celle du dedans et celle d’outre mer. Il est souhaitable que la volonté de la jeunesse haïtienne soit respectée.
Il est enfin souhaitable que le martellisme (mais non le mickisme) soit inclusif, tolérant, fédérateur et mobilisateur et économique de l’énergie nationale. Il est souhaitable que le martellisme soit synonyme d’une économie politique indigène; sinon, qu’il soit fondationnel d’un État de droit et d’une nation haïtienne; Une nation haïtienne, égalitaire et égalitariste, immunisée contre les apories du ségrégationnisme créole et de son corollaire historique, c’est-à-dire, l’apartheid économique, social et culturel bicentenaire haïtien. À la génération Hip Hop qui l’a massivement élu, Michel Martelly se doit de léguer une autre Haïti. Celle d’un État de droit et d’une nation humaniste; une nation vissée sur le train de la modernité. mais non bloquée par une éthique de droit divin vieille de 207 ans, savamment cultivée par l’élite créole haïtienne. La victoire de Micky est bien une victoire contre cette vieille éthique féodale de l’élite haïtienne. Une telle victoire n’aura de sens que si le quinquennat présidentiel de Martelly matérialise la rupture définitive et irréversible souhaitée par la génération hip hop. Une telle rupture ne peut être sans éliminer l’embargo constitutionnel imposé depuis un quart de siècle à la diaspora haïtienne par l’élite créole haïtienne de droit divin. «Mister the President here is the contract.»
[1] Expert en Gouvernance
[2] Voir texte de l’auteur, CCN, 5 août 2010
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(PHOTO MEDIAMOSAIQUE.Com- Cr.Google – Le roi du hip hop haïtien, Wyclef Jean et le chanteur du konpa devenu le 56e président haïtien,Joseph Michel Martelly)