Haïti : malédiction ou re-naissance? Par Dre Aoua B. LY-TALL*

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« C’est comme si une bombe atomique était tombée Haïti » dit la GouverneurE générale du Canada, Michaëlle JEAN, ancienne journaliste et fille de Jacmel en Haïti. Une image qui traduit très bien l’effet du séisme sur Haïti. Un tremblement de terre qui a fait tomber comme des châteaux de cartes les plus durs, les plus sûrs et les beaux édifices de ce pays, qu’on pensait indestructibles. Une pierre de plus sur la tête du peuple haïtien, un coup de trop qui fera tomber certains dans une vision fataliste de l’histoire d’Haïti et du destin de son peuple.

 

 

Mais comment ce pays est-il passé de la «Perle des Antilles» à la «poubelle du monde», à savoir, celui sur lequel chacun peut jeter les pires propos, sans se soucier de leur pertinence. Le dernier de ceux-ci est «malédiction». Face aux multitudes de catastrophes qui se sont succédées ces dernières années en Haïti, couronnées par ce terrible de terre, certains n’hésitent pas de sauter à pieds joints dans la thèse fataliste et à expliquer la situation de Haïti par la malédiction. Qu’on se pose des questions, cela est tout à fait normal, que l’on se demande d’où nous viennent tous ces malheurs qui s’abattent d’année en année sur Haïti, c’est légitime!

Cependant, de façon consciente ou inconsciente, chez certains, les thèses esclavagistes de la culpabilisation des Noir-e-s, refont surface. La situation des Haïtiens, étant un cas adéquat sur lequel on peut plaquer cette vision tout en donnant l’impression d’être scientifique, alors qu’on est tout simplement dans l’idéologie. Cependant, que ces combattant-e-s d’arrière garde de l’infériorité des Noir-e-s refassent surface, cela n’a rien d’étonnant, puisqu’ils n’ont pas baissé les armes, mais qu’une dame de la trempe de Viviane Barbot épouse cette thèse fataliste et la développe sur les ondes de radio Canada, c’est étonnant! Car, madame Barbot est une éducatrice et une ancienne parlementaire, donc, une analyste. En plus, c’est une Leader puisqu’elle a été la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Je pensais qu’elle allait faire valoir des approches plus pertinentes scientifiquement et plus constructives humainement. Car, si on en arrive à la conclusion qu’Haïti est sous la coupe de la malédiction divine, il n’y a plus rien à faire. C’est là une approche qui enlève tout espoir aux Haïtiens et Haïtiennes et tout courage à ceux et celles qui les aider sincèrement à s’en sortir.

Haïti n’a pas l’apanage des catastrophes naturelles. Elles frappent plusieurs pays dont un puissant État américain. Mais, l’essentiel est d’y être préparé. Ce qui n’est point le cas d’Haïti. D’ailleurs, ce pays qu’on s’acharne à qualifier de pauvre, n’est pas pauvre, mais appauvri. Un pauvre n’enrichit pas d’autres. Or, Haïti a enrichi la France au fil de l’Histoire. Il l’a même sauvé de la misère après la Révolution française.

À mon humble avis, la source des malheurs de Haïti, ce n’est point la malédiction divine, mais, la férocité de la France qui lui a imposé de racheter sa liberté pourtant conquise de haute lutte, par le versement de 150 millions de francs Or, enlevant ainsi le pain de la bouche des filles et fils d’Haïti, compromettant à jamais le développement de leur pays. C’est comme si l’Allemagne nazie imposait à la France après la libération de lui verser une compensation. Un pays pauvre ne fait pas l’objet de convoitises. Or, après la France, les États-Unis ont occupé Haïti en 1915. Mais, la résistance haïtienne a eu raison des Yankees en 1934.

C’est dire que Haïti n’est quasiment jamais sortie de l’occupation, mais les Haïtiens n’ont jamais courbé l’échine. Ils ont toujours tenu la tête haute. L’une de leur stratégie de survie est l’émigration. Ils vont dans les pays développés, contribuer au développement social, culturel, économique et politique et assure la vie de leurs siens par un soutien moral et des transferts d’argent. Les sommes qu’ils envoient en Haïti dépassent l’aide au développement fournie par la communauté internationale. L’Haïtien pauvre est celui qui n’a pas un enfant immigré quelque part dans le monde ou placé dans les instances internationales de recherche et de développement. Les Haïtiens et les Haïtiennes sont des gens de valeur. Qu’on regarde juste ici, chez nous au Québec. Ils/elles sont professeur-e-s de collèges et d’universités, médecins, infirmières, écrivains, etc. On vient d’apprendre que Georges Anglade, qui vient de perdre la vie en Haïti lors du séisme avec son épouse, a été membre fondateur de l’Université du Québec à Montréal, une des plus importantes et des plus belles réalisations du Québec issue de sa glorieuse révolution tranquille. Si les citoyens et citoyennes haïtiennes peuvent tant faire pour leur pays d’accueil, ils/elles sont capables de faire mieux pour leur pays d’origine. Mais, l’une des conditions sine qua non, est la stabilité politique et un gouvernement fort et démocratique. 

Or, la situation de ce pays est structurelle. Depuis plus de deux (2) siècles (1804 – 2009), on fait payer à Haïti le prix de sa résistance, le prix de sa victoire sur l’une des armées les plus glorieuses en Occident, à savoir celle de Bonaparte qu’elle battu en 1803, proclamant du coup l’indépendance de son pays et ouvrant partout la voie à l’abolition de l’esclavage. On le punit pour avoir brisé les chaînes de l’esclavage et d’avoir montré le chemin de la liberté à d’autres, dont les États-Unis d’Amérique. Cette île, antérieurement dénommé Haspi … habitée par des Indiens a commencé ses malheurs avec l’arrivée de Christophe Colomb. Quelques années après, ces autochtones seront quasiment décimés par l’occupation, les maladies … C’est dire avec le prof : que la rencontre des deux mondes a commencé par un génocide.  La « découverte » de Ayiti (son nom originel) ouvrira la voix aux malheurs d’un autre peuple, les Africain-e-s de l’Afrique qu’on continue de dénommer les « Noir-e-s » alors qu’on appelle les autres Belges, Chinois, etc., donc, selon leur origine et non pas selon la couleur de leur peau. Mais, ça, c’est une autre question.

En plus, l’écrasement culturel, de l’exploitation économique, Haïti a été victime de l’étouffement politique par un isolement systématique. On a continué lui faire subir des humiliations dont le pire a été la déportation de leur président démocratiquement élu, Aristide. Ce, en vue entre autres d’empêcher le Peuple haïtien de commémorer le Bicentenaire de son indépendance et de célébrer ses héros, tels que Toussaint Louverture, Dessalines, etc. Tout cela montre que ce n’est pas la main de Dieu qui détruit Haïti, mais, celle des hommes.
 

La communauté internationale a un devoir moral de reconstruire Haiti, surtout, la France. Elle a une lourde dette vis-à-vis d’Haïti. Elle doit saisir l’occasion de ce séisme pour lui en rembourser une partie. C’est vrai, elle ne pourra jamais tout rembourser. Mais, elle peut compter sur la générosité des Haïtiens pour éponger une part de la dette française à Haïti.

Le peuple haïtien ne demande pas la pitié, il réclame la responsabilité des Nations Unies à l’égard d’un de ses membres. Si on tient coûte que coûte à voir la main de Dieu dans ce tremblement de terre qui a frappé Haïti, touchant du coup tous les pays et l’ONU, c’est un signe de Dieu à toute l’Humanité: « regardez ce que vous avez fait à ce pays! Des humains ont-ils le droit de faire cela à leurs semblables? Alors, je vais tout détruire. Reconstruisez, à présent! » Cette bombe atomique sur Haïti aussi dure que soient ses effets, est donc non pas le signe d’une malédiction, mais un point de départ de la Re-naissance haïtienne, celle de sa reconstruction durable. Le monde entier s’y attelle.

Pour ce, après la phase d’urgence (soins aux humains), il faudra concevoir un plan intégré de développement et l’appliquer de façon très coordonnée. Il doit commencer par le choix du lieu de reconstruction de ce pays qui ne doit pas se faire dans une zone sismique. Il est également nécessaire que le pays soit décentralisé. Une fois la reconstruction matérielle achevée (habitat, institutions, infrastructures, etc.) ou parallèlement, il faut passer à une mise en place d’un État fort et démocratique, donnant l’occasion au peuple haïtien de choisir librement ses dirigeants et veillant à ce que ceux-ci restent en poste. Bien entendu, la diaspora haïtienne est incontournable dans cette re-naissance haïtienne. Elle devra être systématiquement recensée dans tous les pays et impliquée à toutes les étapes, selon le savoir-faire et les expertises des uns et des autres.
 
Espérons qu’un « Plan Obama », de type Marshall sera mis à l’œuvre pour la souveraineté et le développement durable d’Haïti, pour le bien-être et la dignité des Haïtiens et des Haïtiennes ainsi que pour la Paix et la sécurité mondiales.

 

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*Texte soumis à la rédaction de l’Agence de presse «Média Mosaïque» par: Dre Aoua B. LY-TALL
Sociologue et Chercheure associée à l’Institut des Études des femmes, Université d’Ottawa, CANADA
Présidente Fem En Vie, Inc., Expert-conseil en Genre, Diversité, Environnement et Stratégies organisationnelles, QUÉBEC
Présidente-Fondatrice du Réseau « FEMMES AFRICAINES, Horizon 2015 »
E-mail: aouab_ly.tall@ymail.com ou alytall@uottawa.ca ; Site Web: www.femenvie.ca ou http://aouab.cv.fm/

PHOTO (Une vue du Palais national , le siège officiel de la présidence haïtienne, réduit en gravats sous l’effet dévastateur du séisme du 12 janvier 2010)