L’image que Préval essaye de donner de lui d’un président au-dessus de tout soupçon, au-dessus des partis et n’ayant que les intérêts du pays comme horizon indépassable n’est que posture donc imposture. Il faudrait être malhabile et débile pour ne pas le voir dans son télescope, que sa chaleur subite envers les aspirants-présidents est feinte et qu’à l’instar de Talleyrand, il ne croit pas lui-même dans la messe qu’il sert.
Son initiative de rencontrer les candidats à la présidentielle du 28 novembre 2010 serait, aujourd’hui, démarche louable, tout au moins sensée, si, au lendemain du séisme, il avait eu le même élan, la même spontanéité compassionnelle, la même attitude auprès de la population, la société civile et l’opposition afin d’évaluer les dégâts, définir la stratégie pour la reconstruction du pays, préparer les documents en vue des différentes réunions avec les donateurs, à Montréal, à Santo-Domingo et à Washington et éviter, pour ainsi dire, cette fameuse Commission Intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), depuis dénoncée ; ou encore, plus près de nous, s’il avait entrepris cette démarche pour réformer le CEP honni dont personne ne veut, sauf lui –bien entendu, puisqu’il est tout à son service – avant de lancer son processus électoral, sous la dictée d’Edmond Mulet de la MINUSTHA. Il eut été, l’on ne cessera jamais de le dire, le président soucieux de provoquer, d’illustrer et d’incarner un moment de consensus du pays tout entier. Mais il excelle mieux à jouer au petit coquin, à faire le malin et à abuser les gens. Dans des habits de noblesse, d’élégance et de responsabilité, il eut été, de toute façon, en porte-à-faux avec lui-même ; son honnêteté est donc sauve.
La politique des oxymores
Comme aujourd’hui, il contrôle tout et est sûr de son coup, dès lors joue-t-il au petit poseur, et continue à narguer cette classe politique, ces éternels candidats qui, à de rares exceptions près, sont, tout ébahis devant tant de bonne volonté de Préval qui, du coup, devient le bon prince. Ils sont tout contents, trémoussent, frétillent et frissonnent à l’idée de rencontrer le président. Pour les réticents, il y a encore toute la batterie des directeurs d’opinion, à la petite semaine, pour les y inciter en saluant cette grande générosité de la part du chef de l’INITE[1] .
Mais toute cette série de rencontres, pourquoi faire ? Sur quoi portent les échanges ? De quoi le président discute avec eux ? Apparemment d’exil, un mot qui lui ferait froid dans le dos, donc banni de son vocabulaire, selon le candidat Charles Henry Baker qui l’a rencontré et qui a rapporté, en outre, d’avoir marqué sa divergence avec le président notamment sur le conseil électoral. Wyclef Jean, lui aussi , après un moment de mutisme, consécutif au rejet de sa candidature, a repris depuis le collier dans sa sphère de prédilection et de compétence accréditant la thèse du deal ou de la manipulation (ce qui revient au même, dans ce cas) dans le but de conférer un certain rayonnement international aux élections, vu son aura de people, et donne maintenant de la voix en lançant des piques par chanson interposée, peut-être que cela aussi fait partie du deal ou de la manipulation.
Autrement c’est la bouteille à l’encre, les candidats sont peu diserts, discrets, voire secrets, y compris les Manigat, comme s’ils appartenaient tous à une même confrérie du silence. « Entretien cordial et chaleureux, discussion franche », rapporte les agences de presse, mais les électeurs n’en sauront pas plus. Qui se soucient d’eux ? L’on s’étonne, par ailleurs, que le prolixe Manigat, pas la femme mais l’époux, n’ait pas encore produit une longue tribune – est-elle en préparation ?- pour dire tout le bien qu’il pense de cette visite…émétique[2] , en sa résidence de « la Closerie des Palmiers », à moins qu’il ne veuille, en politicien rompu, point compromettre, cette fois-ci, la chance de Mme Manigat, son épouse, qui a, là, l’occasion, qui sait ? de récupérer un deuxième tour qui leur a été ravi en 2006?
La décence…pas, la cohérence pas plus
Préval se prendrait-il pour Namphy, le général de la «bamboche démocratique» qui promettait à tous, après les élections de 1987 avortées dans le sang du massacre de la ruelle Vaillant, d’être le prochain président ? Parmi les appelés, lors, l’on se rappelle, un certain professeur tonitruant, plus intelligent que tout le pays réuni, de son nom Manigat (encore !) dont Namphy fit son élu et qui, le 7 Février 1988, devint ainsi président d’Haïti. Et 134 jours plus tard, le piège se referma sur celui qui pensa avoir fait sa percée…louverturienne, mais oubliant que la Roche Tarpéïenne n’est jamais très loin du Capitole.
Si Préval ne manque pas de mémoire et a de qui tenir, ceux en face de lui semblent tout simplement amnésiques. Ne lisant pas ou si peu ou encore ne comprenant pas toujours ce qu’ils lisent, car trop pressés à vouloir tourner la page…allègrement, comme si l’on peut faire l’économie du passé et de l’histoire. Il parait que cela arrange bien du monde; quand on est appelé à diriger, il faut rencontrer tout un chacun… quand les intérêts de la nation l’exigent, il n’y pas de sacrifice à ne pas consentir, s’empressent évidemment d’objecter nos politiques. On connait la chanson, même contre leurs valeurs, contre leurs principes. Soyons sérieux !
Tous les candidats connaissent l’homme et ont, pour la plupart d’entre eux, fricoté avec lui, qu’est-ce que c’est cet intérêt soudain pour la classe politique ? Que leur apportent ces rencontres ? Qu’obtiendront-ils de ce simulacre ? Que dalle, comme on dit familièrement, ou la vague formule de « s’engager à de bonnes élections » qu’ânonne le président, de la rhétorique…creuse. Pas de projet, pas d’idées, et porteurs de rien, incapables d’aller jusqu’au bout de leurs pensées, de leurs convictions, incapables non plus d’être en harmonie, en cohérence avec leur position, alors les candidats se prêtent au jeu, cela leur tient lieu de dérivatif. Car, M. Préval ne semble pas d’avis à faire la moindre concession, la moindre modification dans la machine qui semble lancée pour ne pas s’arrêter. Tout est, effet, déjà ficelé – peut-être consentira-t-il, à la rigueur, à limoger un conseiller, s’il est certain que cela n’aura aucune incidence sur son projet de mains mises sur les prochaines joutes électorales au profit son parti et de ses alliés. Est-ce bien astucieux et ingénieux, par conséquent, que de cautionner pareilles simagrées et d’intégrer un processus déjà piégé ? Entre temps, le président Préval, lui, sur les conseils de ses communicants politiques, fait son show, s’expose lui-même, se marre et continue à se moquer du monde. Comme il est difficile d’être, alors il joue à paraitre…grand, géant, visionnaire et s’apprête à servir au peuple haïtien la même parodie qui l’a mené au pouvoir.
Au-delà de la logique du bouc émissaire
Que les choses soient bien claires, personne ne poussera la bêtise à souhaiter une crise cardiaque au président qui est en fin de mandat, comme cela s’est entendu sous d’autres cieux [3] , cela ne changerait rien à l’équation des problèmes haïtiens. Papa Doc n’est plus , son fils Baby Doc a fui, les militaires et les autres technocrates ont tous fait leur petit tour et s’en sont allés, Aristide également, la situation ne s’est pourtant pas améliorée, les automatismes sont restés les mêmes. C’est qu’II y a aussi et surtout une structure, un type de relations, un mode d’intersubjectivités, de maillage et de lignage entre tous ceux qui profitent à fond de ce système inique et corrompu qui produit et reproduit les mêmes inégalités, les mêmes exclusions, et les mêmes aberrations, c’est justement cette mécanique-là qu’il faut identifier, comprendre et casser. Et non pas de continuer à se comporter à l’identique de l’idiot de l’adage chinois qui ne voit que le doigt alors que le sage lui montre la lune. S’Il faut bien instruire le procès d’un homme, ne perdons pas de vue le système qui le génère et qui lui donne sens.
C’est ainsi que cette Haïti autre se construira. C’est une mission possible. C’est une utopie réalisable, car il n’y a pas de mal radical haïtien qui procéderait du péché originel d’une indépendance, par exemple, trop tôt conquise que nous pousserions comme Sisyphe le rocher. Nous devons composer avec la réalité de ce que nous sommes, et la faire évoluer au profit du plus grand nombre. Nous n’héritons non plus d’aucune haine originelle venant d’une Afrique mythique transmise jusqu’à nous en 2010 plombant toute velléité de vivre dans la solidarité, le partage et l’amour. La culture est dynamique, ce sont des stéréotypes à dépasser. Le vivre ensemble est possible mais il est à construire au jour le jour, les mains dans le cambouis, dans ce tiers d’île de 27.750 km2 ballotée par la mer des Caraïbes, mais aussi partout où l’Haïtien trime pour vivre debout.
MEDIAMOSAIQUE.Com Du même auteur:
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Garoute Blanc
Garoub@yahoo.fr
Cadillac, 20 septembre 2010
[1] Le nom créole du parti de Préval, en français UNITÉ
[2] Suite à la fabrication de la majorité numérique à Préval qui est ainsi devenu l’élu des élections de 2006, Le Prof a eu ce mot malencontreux, ce passage biblique : « le chien retourne à son vomi », pour évoquer le fait que la population ait décidé de permettre le retour de Lavalas au pouvoir à travers Préval.
[3] Père Arthur Hervet de la communauté assomptionniste souhaitait « que Nicolas Sarkozy ait une crise cardiaque » s’insurgeant contre les expulsions des Roms en France, depuis il a regretté ses propos.