Ginella Massa, la première chef d’antenne voilée au Canada

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MONTRÉAL (MÉDIAMOSAÏQUE) – La journaliste torontoise Ginella Massa a marqué d’une pierre blanche l’histoire des médias au Canada en devenant, le 17 novembre dernier, la première chef d’antenne à porter le voile. « Cette soirée n’a pas été seulement marquante pour moi : je ne crois pas qu’une femme portant le hidjab ait déjà été à la barre d’un bulletin de nouvelles au Canada », a-t-elle tweeté après le bulletin de 23 h de CityNews, à Toronto.

Alors que l’actualité est dominée par le projet du président désigné des États-Unis, Donald Trump, d’instaurer un registre pour immigrés musulmans et par la montée des actes violents ou islamophobes, la déclaration de Ginella Massa a été entendue comme un appel à l’ouverture et à la diversité dans les médias. Et a aussitôt enflammé la twittosphère. En quelques jours seulement, la journaliste a monopolisé l’attention des plus grands médias internationaux, de la National Public Radio au New-York Times, en passant par leGuardian.

La chef d’antenne d’origine panaméenne, arrivée à Toronto à l’âge de un an, raconte son parcours et ses attentes envers sa profession à l’aube de l’ère Trump.

Quand avez-vous décidé de porter le hidjab?

Je devais avoir six ans, mais je ne l’ai vraiment adopté qu’à neuf ans. Ma mère et ma sœur le portaient et je ne voulais pas me sentir à l’écart. Ma mère me trouvait trop jeune, mais j’ai insisté.


Est-ce que ce vêtement a fini par prendre une signification particulière pour vous?


Oui, tout à fait. Je l’ai mieux compris en vieillissant. Beaucoup de filles qui commencent à porter le voile jeunes se demandent un jour si elles devraient l’enlever parce qu’il les fait paraître différentes. Ma mère a longtemps encouragé notre école à célébrer l’Aïd, elle voulait que nous sentions que nous appartenions à notre communauté et que nous puissions en même temps pratiquer notre religion librement et sans complexe.

Avez-vous déjà songé à le retirer?

Le 11 septembre 2001. J’étais au secondaire à l’époque. Notre mère s’inquiétait pour nous et nous a dit que nous pouvions l’enlever si nous le voulions. Mais ma sœur et moi étions décidées à le garder. Cela n’a fait que renforcer notre détermination et notre fierté, notre confiance en nous et en notre foi. Après les attentats, la religion a beaucoup fait parler; les gens nous demandaient pourquoi nous portions le voile et nous questionnaient à propos du ramadan, du jeûne et de la prière.

Qu’est-ce qui vous a mené au journalisme télévisuel?

En sixième année, mon professeur d’anglais, qui avait été journaliste à Montréal, nous a parlé du métier de reporter à la télévision. Ma mère m’a tout de suite vue là-dedans. Je lui ai dit que je doutais qu’on me laisse être devant la caméra, mais que je pourrais peut-être faire de la radio. Comme je n’avais jamais vu quelqu’un comme moi à la télévision; c’était donc difficile de m’imaginer à ce poste. Ma mère m’a répondu : « Ce n’est pas parce que personne ne l’a fait que tu n’y arriveras pas. »

Vous avez travaillé dans le milieu pendant presque six ans et avez été reporter les deux dernières années. Qu’est-ce qui vous attire tant dans le journalisme?

Plus jeune, je cherchais tout le temps à prendre la parole et à être sous les projecteurs. J’ai découvert l’univers de l’information et j’ai pris goût à raconter l’histoire des gens, à aller plus loin que les gros titres accolés au dernier procès ou à un accident de la route. En creusant, on trouve toujours quelque chose d’important : la vie d’une personne.


S’est-on déjà opposé à ce qu’une reporter voilée apparaisse en ondes?

Je n’ai jamais rencontré d’employeur qui m’a dit une telle chose en face, mais j’ai toujours appréhendé cette éventualité. En même temps, le pays a des lois contre la discrimination et personne ne pourrait évoquer ce motif pour refuser d’embaucher quelqu’un. Un collègue, qui ne savait sans doute pas que je souhaitais faire de la télévision, m’a déjà dit qu’il doutait qu’une femme portant le hidjab obtienne un jour un tel poste parce que c’est trop « déconcentrant ». Loin de me décourager, j’ai travaillé encore plus fort pour y parvenir.

Vous portiez déjà le hidjab dans vos reportages à la télévision, mais jamais en tant que chef d’antenne. Parlez-nous de votre premier jour, le 17 novembre.

En fait, on m’avait demandé d’être à la barre du bulletin durant les fêtes – c’est la beauté de la diversité dans le studio, ceux qui ne célèbrent pas Noël travaillent pour permettre aux autres de passer du temps avec leur famille. L’équipe m’avait dit qu’elle essayerait de m’installer au poste un peu avant pour que je trouve mes repères, et ce même jour, on m’a demandé d’animer. J’étais tellement excitée, tout s’est passé à merveille. Après l’émission, mon directeur m’a félicitée et m’a demandé : « Alors, c’est une première au Canada? » J’ai répondu que je le croyais bien. Il a ajouté : « Super, ça a tout l’air qu’on vient de passer à l’histoire. »


Comment les gens ont-ils réagi après que la nouvelle a fait le tour du web?

La réponse a été en général très positive. Ceux qui connaissaient mon travail m’ont félicitée pour ce tournant dans ma carrière. Les gens qui m’ont regardée ce soir-là m’ont dit qu’ils se sont sentis chez eux en me voyant. Une femme m’a même écrit pour me confier qu’elle avait parfois peur de sortir de la maison avec son voile ces temps-ci, mais qu’après m’avoir vue à la télévision, elle a été rassurée. Ce genre de témoignage me donne l’impression que je peux changer les choses et que ce que je fais est bien. Comme je l’ai dit plus tôt, quand j’étais enfant, je n’avais jamais vu quelqu’un qui me ressemble à l’écran : j’espère que je peux en inspirer d’autres et leur faire prendre conscience des possibilités qui s’ouvrent à eux et de la place qu’ils peuvent occuper.

Sans surprise, les commentaires en ligne n’étaient pas tous favorables. Qu’avez-vous à dire aux mauvaises langues?

C’est parfois difficile d’ignorer les commentaires négatifs. Même s’ils sont peu nombreux, ils ressortent du lot et ils nous affectent différemment. Je sais que la plupart de ces mauvaises critiques ne connaissent probablement rien de mon travail et ne font que se gendarmer contre un gros titre, une photo. Et mon apparence ne leur plaît sans doute pas. Je suis sensible aux commentaires sur mon travail et sur les points à améliorer, mais si quelqu’un n’aime pas ce que je porte, c’est son problème.

Vous avez aussi eu à traiter de sujets comme le discours islamophobe aux États-Unis. Comment y parvenez-vous?

C’est délicat, surtout parce que cela me touche personnellement. Mais en tant que journaliste, je dois me détacher de la nouvelle, elle ne me concerne pas : je ne suis là que pour la transmettre. Je m’efforce toujours de demeurer impartiale, d’avoir assez de recul pour poser les bonnes questions parce que je sens qu’on m’a plus à l’œil.

Y a-t-il un événement récent où vous avez trouvé cela particulièrement difficile?

La tuerie dans la boîte de nuit gaie d’Orlando. Je jonglais avec tellement d’émotions ce jour-là. Je voulais parler de ma communauté, de l’homophobie qui y est bien présente et des épreuves que doivent surmonter les musulmans LGBTQ. Mais en tant que journaliste, je ne voulais pas non plus avoir l’impression de la trahir en posant les questions épineuses. Cette journée a vraiment été pénible. Je suis rentrée chez moi et j’ai pleuré.


Votre histoire a soulevé la question de la diversité dans les médias; quel groupe demeure sous-représenté dans l’industrie d’après vous?


Les personnes qui ont un handicap physique. Si nous voulons véritablement exposer les enjeux de nos communautés, nous devons puiser dans ses ressources. Voilà pourquoi la diversité dans notre studio est si importante. Si tous partagent le même vécu, les mêmes idées, la même vision du monde, cela transparaîtra dans le bulletin de nouvelles.

À l’approche de 2017, qu’espérez-vous pour votre profession?

J’ai discuté avec d’autres journalistes musulmanes aux États-Unis qui portent le hidjab, et elles m’ont confié qu’on leur avait très clairement fait savoir qu’elles ne seraient jamais à l’écran. Et c’était avant Trump! Je trouve déplorable qu’on les punisse non pas parce qu’elles sont incompétentes mais parce qu’on juge que leurs vêtements ne conviennent pas à la télévision. J’espère qu’en occupant ce poste j’envoie un message : « Voyez, une femme voilée aux nouvelles, ce n’est pas la fin du monde! » Les gens vont s’y faire, et il est grand temps.

Ce texte est adapté de Flare.

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