Un embargo de la diaspora contre Haïti: Saintelmy persiste et signe

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Par Wilson Saintelmy
«Un embargo pour forcer Haïti à reconnaître les droits de sa diaspora? N’est-ce pas légitime et de bonne guerre?»

Me vaut ce droit de réplique la formule lapidaire mais hélas combien astucieuse, utilisée par Média Mosaïque pour résumer ma prestation à la conférence populaire des Haïtiens (nes) de Montréal qui a lieu au Buffet Cristina les 23-24 avril 2010.  Pourtant, l’essentiel de mon message est ailleurs. Il n’est nullement réductible au titrage  fort judicieux, exploité à dessein par Média Mosaïque, précisément, en raison de ses connotations négatives dans l’esprit de son lectorat. Audacieux et intelligent, l’artifice de Média Mosaïque  est pris trop au sérieux et trop à la lettre par certains (es) de nos compatriotes. Nous sommes au second degré.

Et cela vaut autant pour l’auteur de ce texte que pour Média Mosaïque. Le détour par l’absurde peut avoir une vertu socratique, sinon,  tout aussi thérapeutique qu’heuristique et, donc, révolutionnaire.  Il expose cependant celui qui y recourt aux démons de la doxa et de la dérision. Armée de ma  révolte  mais aussi de ma lucidité camusiennes , j’assume,  comme Camus dans  sa trilogie de l’absurde  (« Mythe de Sisyphe », « l’Étranger », « Caligula et Le Malentendu »).  Des Caligula, nous en avons chez l’élite créole haïtienne.  Et malentendu, encore davantage entre nous, au sens propre et au sens figuré, sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour congédier l’État créole haïtien, pour avancer dans la modernité liquide. Malentendu persistant entre ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour  honorer la mémoire de Toussaint Louverture ou celle de Dessalines. Malentendu divisif entre nous sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour nous rendre dignes de l’héritage d’un Martin Luther King ou de celui d’un Nelson Mandela et qui sait, des prouesses d’un Barack Obama. Telle est la quintessence de mon message.       

Ce qui fut dans ma prestation une formule provocatrice, un artifice formel,  une figure de style, sinon, une métaphore, du moins, un prétexte ou un détour par l’absurde, est vite récupéré puis perverti par certains objecteurs de conscience. Paradoxalement, ces mêmes objecteurs de conscience n’ont pas hésité à utiliser l’arme de l’embargo contre les putschistes qui ont exécuté le premier coup d’État contre Jean Bertrand Aristide, notre illustre bossale affranchi, ce déserteur de la cause nationale? En quoi et pourquoi serait-il alors immoral d’utiliser la même arme politique  pour renverser l’État Créole haïtien? Au nom de quoi, le récent putsch constitutionnel prévalo-bellerivien mérite-t-il un traitement différent que celui administré contre son pendant de 1991? Avez-vous dans ce dernier cas pensé aux effets collatéraux de l’embargo que vous avez réclamé et obtenu contre les putschistes cédrasistes? Avez-vous réfléchi au fait que 90% des Haïtiens (nes) végètent depuis plus de deux siècles sous un embargo infernal, imposé et géré par l’État Créole Haïtien?  

À la lumière de ce constat, je réitère ma proposition de fermer le robinet en vue de provoquer une déshydratation systémique d’un tel État.  Une telle prescription doit être, cependant,  rapatriée dans le contexte d’une réflexion  sur le rôle de la diaspora haïtienne dans la transformation de la gouvernance économique du pays après le séisme du 12 janvier dernier. Je suis parti de cette thèse absurde et  potentiellement controversée,  tout aussi provocante que provocatrice pour: (a) Mieux faire ressortir la posture suicidaire de l’État créole haïtien et de ses commanditaires historiques; (b) Capter l’attention de l’assistance; (c) M’en servir comme prétexte pour amener mon sujet puis  le décliner autour de quatre axes de réflexion. (d) M’y appuyer pour faire œuvre de pédagogie sociale et politique. Il s’agissait ici de sensibiliser l’auditoire sur le pouvoir subversif des deux milliards de dollars transférés annuellement  par la diaspora vers Haïti et ce, sans contrepartie. Voilà le tout subverti à des fins démagogiques. Pourtant, par delà son tatouage délibérément provocateur,  la formule a ses vertus, pour peu que l’on se donne le temps de les découvrir, sinon, que l’on se désarme un peu de son émotivité primaire et réfléchisse d’une manière rationnelle.                        

 

Un embargo de la diaspora contre la posture suicidaire de l’État Créole et de ses commanditaires? Pourquoi pas?

En ce qui a trait à la posture suicidaire de l’État créole haïtien avant et après le séisme du 12 janvier dernier, la Diaspora Haïtienne y contribue depuis plus de cinquante ans en assumant l’entièreté de la mission sociale d’un tel État. Autrement dit, la diaspora haïtienne s’est toujours inscrite dans une logique régulatrice et, donc, reproductrice de l’État Créole Haïtien et des privilèges de l’oligarchie créole. Une telle logique ne lui a valu que de l’impuissance,  de l’exclusion, du mépris,  de l’humiliation constitutionnelle, de l’ostracisme, de la servilité envers l’oligarchie créole haïtienne, de la honte, de la marginalisation et de la frustration.  À moins que je ne m’abuse, Garoute Blanc semble aboutir au même diagnostic lorsqu’il affirme et nous citons: 

«Visiblement pour ceux qui dirigent Haïti,  ce n’est pas  encore l’électrochoc  salutaire pour la refondation de ce pays. Tout laisse croire qu’ils veulent  continuer à faire fructifier les mêmes pratiques de reproduction  des souffrances et des douleurs de ce peuple. Voilà pourquoi, les citoyens doivent être à la révolte  dans le sens  de l’appel de  Lyonel Trouillot[14]. Il faut réclamer  des lumières contre l’obscurantisme et  une morale  qui ferait  coïncider  bonheur individuel  et bien général[..]. Il faut avancer  avec le marteau nietzschéen, comme le dit Onfray, pour fracasser les mécaniques de la misère,  la pauvreté et  l’injustice sociale, étriper tout ce qui ressemble aux schémas anciens.»

Ma formule invitait l’assistance à suivre les traces des Héros de l’indépendance face au régime esclavagiste dominguois, celles de Gandhi face à l’empire britannique, celles des leaders civiques noirs  américains face à la discrimination raciale, celle de De Gaule contre l’occupation naziste,  celles  de Nelson Mandela face au régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, celles de Charlemagne Péralte contre l’occupation américaine de 1915. Dans tous ces cas de figure, il s’agissait de choix douloureux, qui imposaient d’énormes sacrifices, y compris sur le plan affectif et émotionnel, sans oublier les incontournables effets collatéraux. Il en va de la grandeur d’un peuple que de payer le prix pour sa dignité et pour sa fierté, fut-il sacrificiel et amer. Quels sacrifices sommes-nous prêts à consentir pour sauver Haïti des griffes prédatrices  de l’État créole et de ses commanditaires? Quel prix sommes-nous prêts à payer pour forger et édifier un véritable État Nation en Haïti? Sommes-nous encore capables d’une telle bravoure et d’une telle prouesse?

Une grève des transferts de la diaspora ne procède-t-elle pas d’une telle bravoure? Ne risque-t-elle pas d’avoir dans l’imaginaire de l’État Créole Haïtien un impact pédagogique, psychologique et politique  aussi efficace qu’un plan d’ajustement structurel du FMI? J’ai donc proposé d’entrée de jeu  que la Diaspora haïtienne ferme le robinet  afin de cesser d’oxygéner l’État créole haïtien et dans le but précis de provoquer une transformation radicale de nos structures de gouvernance, notamment économique.

«C’est de la folie fumeuse une telle connerie! J’envoie de l’argent à ma sœur ou à ma mère et puis vous osez me dire d’arrêter? a rétorqué, dans son coin, à un ami, Kesler Brézault, expert en langues, qui n’a pas saisi, d’emblée, là où le conférencier voulait en venir.»
«Une telle folie fumeuse» et «une telle connerie», Kelser, sont miennes, pourvu qu’elles ne me transforment en allié de l’État créole haïtien, en bourreau du peuple haïtien,  en intellectuel patatiste, en idiot rationnel, en intellectuel organique ou en nécro-politique ou encore en naufrageur de la nation haïtienne. Sachez, Kelser,  que l’État créole haïtien a toujours capitalisé et continue de capitaliser  sur des réflexes  irrationnels comme les vôtres pour  assurer sa pérennité, son avenir et sa résilience.  Il en est de même pour l’oligarchie créole haïtienne pour qui vos propos constituent un investissement fort rentable. C’est ce qu’on appelle le Syndrome de Stockholm. Je vous honore du grade de Grand’Croix de la légion d’honneur créole.  

Pour ma part, je rêve de ce jour où l’oligarchie créole haïtienne marchera main dans la main avec les bossales et la diaspora haïtienne pour se mettre à l’assaut de l’État créole sans violence, sans pillage, sans exclusion, sans racisme, sans Père Lebrun et sans trahison souterraine. Comme Martin Luther King,  je caresse ce rêve et rêve de le vivre de mon vivant. Si tout cela était à la portée de la main grâce aux deux milliards d’une Diaspora, qui aura, enfin, osé, via un moratoire sur ses transferts, agir dans le sens d’une véritable transformation du pays? Pourquoi pas? Si un mois de souffrance imposée à nos parents coincés dans la prison qu’est devenue la Perle des Antilles pouvait être l’ultime et la dernière souffrance? Pourquoi pas?  Si une grève des transferts était porteuse d’une vertu transformationnelle de l’État créole haïtien? Pourquoi pas? Si, pour paraphraser Sun Tzu (VIè av.J.C.), la menace d’une grève des transferts nous permettait de gagner la guerre politique contre l’État Créole Haïtien sans livrer bataille? Pourquoi pas?  Si une grève des transferts de la diaspora déclenchait une prise de conscience de la part des bénéficiaires de tels transferts et d’ainsi renverser la mentalité d’assistanat, de dépendance et de mendicité systémique qui est devenue celle de l’État Créole, de ses commanditaires et, par mimétisme,  celle de ses victimes? Pourquoi pas? Si une grève des transferts avait la vertu de revigorer le système immunitaire du corps social haïtien? Pourquoi pas? En dépit et malgré ses inévitables effets collatéraux, une telle grève mériterait d’être convoquée et le plus vite possible si elle pouvait renverser l’État Créole Haïtien.  Il faut oser autre chose, dis-je, d’audacieux, d’inouï et de plus efficace, sinon, de plus radical que les incantations magiques du passé.  Jusqu’ici, celles-ci n’ont pas donné les résultats escomptés. Au contraire, nous avons déclaré faillite et remis les clés de notre patrie à Pandore. Nous avons trahi  et troqué le rêve prométhéen de nos ancêtres pour épouser la trahison épiméthéenne de l’État créole.                

 

Un embargo pour congédier l’État créole Haïtien et décontaminer l’écologie institutionnelle haïtienne? Pourquoi pas?

Selon l’historien du droit Pierre Legendre, la peur de penser en dehors des consignes fait de la liberté une prison. Je réclame le droit à la dissidence envers la pensée unique et m’arroge la liberté de penser en dehors des consignes et ce, d’où qu’elles viennent. La vérité historique gagne très rarement la faveur populaire avant de s’avérer.  À ceux et celles qui confondent le dessein salutaire inhérent à une éventuelle grève des transferts de la diaspora et celui démagogique d’un embargo imposé à Haïti suite au premier coup d’État contre Jean Bertrand Aristide,  je  réponds ceci. La première vise le congédiement d’un système prédateur et le deuxième, la restauration au pouvoir d’un Bossale créolisé certes, mais démocratiquement élu; et ceci, deux fois plutôt qu’une avant d’être renversé autant de fois. Aristide est victime d’un effet de système et non uniquement d’une injustice ou d’un complot ourdi par  la communauté internationale. C’est le démantèlement de ce système prédateur qui est visé par mes propos et non la solidarité de la diaspora haïtienne envers les membres de sa famille, abandonnés à eux-mêmes par l’État Créole Haïtien. 

En attendant le démantèlement pacifique de celui-ci, j’ai proposé à la Diaspora haïtienne  de s’inspirer de ses pendantes juive, chinoise et indienne. Ce faisant, elle serait à même d’apprécier son potentiel subversif sur le plan économique et politique. Ce faisant, elle se transformerait en force de changement aussi bien en Haïti que dans les pays d’accueil. J’ai également invité la diaspora haïtienne à réfléchir comment elle peut contribuer à transformer la gouvernance économique d’Haïti à partir des quatre invariants que j’appelle les quatre C constitutifs de l’économie moderne: Capital Écologique,  Capital Humain,  Capital Industriel et Technique, et Capital Institutionnel. Je laisse le soin au lectorat de Média Mosaïque de juger du bilan de l’État Créole haïtien relatif à ces quatre capitaux depuis nos deux siècles d’indépendance. Une faillite spectaculaire.  Telle est, par delà la métaphore du robinet, la quintessence de ma prestation à cette conférence populaire des Haïtiens (nes) de Montréal.  Et j’assume entièrement et ce, pour le meilleur et pour le pire.

En dépit de ce que pensent « Fanm Fo »  et Jonathan Valois. À celui-ci, je rappelle que la révolution tranquille ne se fit pas sans heurts et sans effets collatéraux mais aussi avec le FLQ et le refus global. L’injustice dont est victime le Bossale Haïtien depuis deux cents ans, M. Valois,  est dix fois pire que celle dont fut victime le Canadien Français  avant la révolution tranquille. Au nom de quoi, M. Valois, cette dernière serait-elle plus légitime que la nôtre? Au nom de quoi avez-vous le droit d’imposer le français aux immigrants (es) que les Bossales haïtiens doivent-ils se faire imposer la langue de sa minorité nomade? Au nom de quoi l’injustice économique dont fut victime le Québécois d’avant la révolution tranquille fut-elle plus injuste que celle dont est victime la majorité bossale en Haïti? M. Valois, c’est précisément pas ce que je suis conscient et révolté du statut d’homo Sacer (Zoofication)  imposé depuis deux siècles  à la majorité bossale en Haïti par l’État créole haïtien que je combats pour congédier celui-ci. 

Enfin, M. Valois, vos propos sons identiques à ceux du Créole haïtien, imbu que vous êtes de votre droit d’inclure ou d’exclure, de décider qui est du dedans et qui est du dehors.  J’ai le goût de vous poser la question M. Valois, quels sont vos critères classificatoires ultimes? Le genos ou le nomos? Inutile de répondre M. Valois, la réponse à cette dernière question est dans vos propos.  Le Canada et le Québec ne sont pas plus vôtres que miens.   

M.Valois, ma cible n’est pas le pouvoir mais bien le système de prédation et de ségrégation institué en Haïti par les Créoles, incluant les Affranchis bossales créolisés.  Apitoyez vous, M. Valois et al, sur les symptômes, laissez-moi les causes.  J’en ai fait  une vocation dans le cas d’Haïti et ce m’est devenu un métier.  À vous et « Fanm Fo » , maintenant, M. Valois,  de réfléchir sur le bien fondé d’un moratoire sur les transferts vers l’État créole ségrégationniste haitien. En attendant le renversement de celui-ci,  du grade de Grand Officier de la légion d’Honneur (Déshonneur) créole,  j’honore Jonathan Valois et « Fanm Fo ».

 

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[1] Du Philosophe existentialiste et Romancier  Français d’origine algérienne Albert Camus,  fondateur de la philosophie de l’absurde. Voir Le Mythe de Sisyphe, Folio Essais, Gallimard, 1942 ; Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Folio Essais, Gallimard, 1ère éd. 1942
[1] Garoute Blanc.,’’ Haïti Post-séisme: quand c’est fini, ça recommence’’. Mercredi, 28 Avril 2010 MÉDIA MOSAÏQUE

 

PHOTO MEDIAMOSAIQUE.Com  (Wilson Saintelmy, à gauche, est PDG d’une entreprise à Laval spécialisée dans l’import-export. Il enseigne la stratégie et la finance à l’UQAM et est fondateur et éditeur de la première revue d’expression française consacrée à la gouvernance organisationnelle.