Crise politique en Haïti : trois présidents « exercent » le pouvoir

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MONTRÉAL – C’est la raison qui expliquerait l’incapacité du président légitime d’Haïti, Joseph Michel Martelly, à former un gouvernement devant gérer les affaires de la République caraïbe plus de deux mois après son accession au pouvoir, à en croire le politologue haïtien Sauveur Pierre Étienne.

En face de Michel Martelly, dit-il, les véritables détenteurs du pouvoir seraient le président sortant René Préval et l’ancien président revenu récemment d’Afrique du Sud, Jean-Bertrand Aristide. Ils dicteraient, selon lui, le comportement rebelle de la majorité parlementaire inféodée à Lavalas qui s’oppose à la nomination de tout premier-ministre pro-Martelly, nommé par ce dernier, sans leur assentiment préalable.

Intervenant depuis les USA où il vit en exil à l’émission Samedi Midi Inter de la radio de l’Université Mc Gill (CKUT 90.3 FM),  ce diplômé de l’Université de Montréal (PH.D. Science politique) et qui a fait ses études postdoctorales à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, estime toutefois que Martelly dispose des marges de manœuvre pour mettre ses deux prédécesseurs hors d’état de nuire.

« La partie est intéressante, c’est le plus beau scénario qui puisse se présenter pour quelqu’un qui s’y connaît en science politique », a analysé Étienne tout en questionnant la dextérité, le savoir-faire de l’entourage du président Martelly en ce sens. À son avis, « il n’y a jamais eu de premier-ministre nommé en si bonne posture d’être ratifié que Bernard Gousse en ce moment, et ce, malgré l’incertitude politique et l’animosité apparente des parlementaires à son endroit. »

Calqué à des nuances près sur le modèle de gouvernance français, le système politique haïtien né de la Constitution de 1987 « amendée » par René Préval, contraint, faut-il le rappeler, l’exécutif à composer avec le législatif notamment en ce qui a trait à la nomination d’un premier-ministre. Un processus qui inclut et la validation du profil du cabinet ministériel et l’approbation de la politique générale du gouvernement.

Disposant d’une représentation nulle au parlement et dépourvu de doigté politique indispensable à l’émergence de sa stature d’homme d’État, Martelly, qui a rafistolé les négociations en vue d’obtenir le vote de cette majorité d’élus (GPR-INITÉ-Gauche), a échoué, d’abord avec l’homme d’affaires Gérard Rouzier et risque de se casser à nouveau les dents en voulant imposer l’ex-ministre de la Justice et avocat Bernard Gousse très proche de sa famille politique (Droite).

La crise est d’une ampleur telle aujourd’hui que les diplomates des capitales les plus en vue à Port-au-Prince (Washington-Paris-Ottawa) commencent à perdre patience. Leur langue de bois dénonce à mots couverts le jusqu’auboutisme ressenti tant du côté du Parlement que de la Présidence qui laisse apparaître au grand jour l’improvisation ou l’inexpérience politique avérée du nouveau chef de l’État haïtien.

De « président » autoproclamé du « konpa direk »(rythme musical dansant haïtien), Martelly, dont les trivialités sur scène ne laissaient nullement deviner ses ambitions présidentielles, a été, grâce aux pressions de la rue et surtout de la communauté internationale, propulsé, à la grande stupéfaction des élites politiques, intellectuelles, locales nationales et de la diaspora, à la tête du plus vieil État de la Caraïbe par 67% des votants  lors du deuxième tour du scrutin.

 

PHOTOTHÈQUE MÉDIAMOSAÏQUE (En haut, le nouveau président Joseph Michel Martelly, au centre. À gauche, son prédécesseur René Préval et à droite, l’ancien président revenu d’exil (Afrique du Sud) Jean-Bertrand Aristide)