Art contemporain: Plaidoirie d’un renouveau en mouvement

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PAR Mohamed Benkhalifa, PhD

Plaidoirie d’un renouveau en mouvement : Des frontières de l’art dit « contemporain » à son dépassement  – Accédez à l’article en format PDF

« Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté ». 

René Char, poète français,

Vendredi 13 juillet 2018, après moultes causeries où fulgurances et inspirations s’échangeront entre poètes, musiciens, philosophes, universitaires et artistes, à l’image des salons littéraires « Majaliss Al Adab », de la célèbre princesse et poétesse andalouse, Wallada Bint Al-Mustakfi, une soixantaine d’artistes vibrants à l’évocation d’Ifriqiya se réuniront à l’Espace Sadika, à Tunis-Gammarth, afin de partager leur expériences, face à l’omnipotence d’une certaine vision dominante de l’art contemporain.

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Après s’être permis une esquisse sur le bilan et les perspectives de l’Afrique des Arts et son état dans la progression des avant-gardes, ils avancent. Loin de l’Internationale situationniste, pour eux l’art n’est pas mort et la révolution artistique du moment africain attend d’être vive.

Quelques jours plus tard, Sadika Keskès, hôtesse de l’événement, célèbre artiste souffleuse de verre, aguerrie aux actions participatives, réunit un nombre voulu restreint d’artistes, au chiffre symbolique, qui se décident alors à se diriger, de son agora dédiée aux arts, vers la frontière entre la Tunisie et l’Algérie, pour promouvoir le Vivre Ensemble en Paix.

Mais également, en solidarité spontanée, avec un groupe citoyen de Marocains et d’Algériens qui pacifiquement, de leurs pays respectifs, le jour fatidique, à même heure, manifesteront le souhait de voir s’ouvrir la frontière terrestre fermée, entre le Maroc et l’Algérie, depuis 1994.

Le dimanche 22 juillet 2018, les 13 marcheurs enclenchent, de facto, leur première action allégorique, sciemment minimalisée, avec, in fine, une performance artistique inédite à la clef. Rêves sans frontières, les voici maintenant au loin, tout près, relais du soleil. Rayon décisif, frémissements premiers, ils irradient de poésie.

Légers, à fleur d’eau, comme l’écume des flots iodés, couleur sel, ils sont paisiblement déterminés à s’échouer sur la falaise du paradigme friable, s’effritant pour l’heure, de vagues en ondes.

Leur marche parle. Elle s’adresse à cet art contemporain. Leur parole est inspirée des dieux. L’un d’entre eux, maître de l’heure rouge, éveille leur énergie humectée du verbe ivre et sobre à la fois : « Il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube ».

Émancipés d’esprit, liberté au cœur et responsabilité chevillée au corps, ces doux poètes du refus, aux humeurs joyeuses et chatoyantes, saisissent que l’art se veut mission, sacerdoce ; qu’au sens étymologique du terme, il est ministère. Assurément celui de la culture et de l’éducation indissociablement liées, à leurs yeux rivés sur l’avenir.

Expériences des multitudes à l’œuvre, ils assument et éblouissent de leur subjectivité entre le pourpre et le cyan. De Dakar à La Marsa. Du microcosme créatif de Gammarth, ou d’ailleurs, au macrocosme des Arts, ils méditent.

Avec un panache exubérant, ils ont à conquérir le monde dans sa chair. Exoplanètes, hors du temps lourd, de leur étendue ondoyante, ils s’expriment pour être perçu par le système solaire immuable, tout entier. Persuadés que bien des planètes, autres que l’art contemporain labellisé, sont à découvrir, ils scrutent l’univers stellaire des Arts pour s’approprier la vie et ses lumières.

Cette fois-ci, ils sont des contrées de la Reine Didon, du pays de Saint Augustin, d’Ibn Agiba, de Tombouctou, du fleuve Gambie ou encore de cet ailleurs si proche de la mulâtresse Solitude, de Glissant et de Toussaint Louverture ; mais aussi des îles du continent, berceau de l’humanité, allant de l’île de Gorée aux Seychelles, en passant par Robben Island ; et plus encore jusqu’aux Ligures de Còrsega estampillée de son écusson d’argent à la tête de Maure.

Matricielle, la saveur est d’essence africaine. Du Wolof au Zoulou, en passant par le Bambara, ils savent ce qu’ils doivent à la langue d’Averroès et de Maimonide. Ils usent de celle du père mythique de « La Comédie des erreurs » et de la « Tempête » qui verra advenir Ariel, esprit de l’air et du souffle de vie ainsi que Caliban, symbole de la terre, de la violence et de la mort.

Pour autant, la plupart francophones sont plutôt prompts à tremper, bien volontiers, leur plume, en partage, dans l’encre de l’auteur renommé de « Candide ou l’Optimisme », féru d’arts et pamphlétaire protéiforme, pour dire et énoncer, à l’unisson, contre la théorie de Pangloss « Il faut cultiver notre jardin ».

Toutefois, ne s’agissant pas que d’une langue au sens du structuraliste Ferdinand de Saussure, leur dire est a priori autre, sans conformisme, se fondant sur une éthique de l’authenticité. À la manière du réalisateur et exceptionnel conteur, aux mille et une facéties, Nacer Khemir, ils s’approprient le langage comme prolongements sensoriels de l’émotion esthétique.

Cheminant pour donner une existence sensible aux intensités de leur temps, ils encouragent à l’émotion pleine de leur contemporanéité de créateurs, inventeurs d’ingéniosités, afin de rendre « le monde vivable et la mort affrontable ». C’est ça la Culture ! Césaire, encore lui.

D’aucuns, pour les railler, les qualifieraient d’émotionnistes comme, jadis, on railla le tableau « Impression, soleil levant » de Monet, poussant le critique d’art, Louis Leroy dans « Le Charivari » du 25 avril 1874, à sortir, de son chapeau, le terme impressionniste. Celui-là même qui permit de faire de la raillerie ce que Saint Paul fit de La Croix, après sa conversion sur la route de Damas.

Ils n’acquiescent pas à l’expulsion du sens et, par ricochet, au rôle substitué, qu’on leur veut dévolu, de participer à la propagation d’une pensée politique de l’art, faisant le lit des idéologies. Ils ne sont pas obsédés par le positionnement. Ils sont juste absorbés par la réalité de l’instant. Ils posent la question du devenir de l’être, tel un Parménide d’Élée.

Contemporains de l’éclipse lunaire la plus longue du siècle, ils font acte de résonance aux appels du providentiel. Dans cette période allant de 1850 à nos jours, il y aura, au commencement, résurrection d’Aristote et du précurseur de l’optique moderne Ibn Al-Haytham qui permettront à Thomas Sutton, de sortir de l’apesanteur, en effectuant la toute première photographie couleur, en 1861. Ce dernier fera œuvre utile de la méthode des trois couleurs primaires, opérée par James Clerk Maxwell, en 1855.

Et pour couronner le tout, il y a eu, Ô bonté divine, s’exclament-ils, cette météorite traversant l’atmosphère des Arts, ne perdant rien de sa masse, faisant impact immarcescible, pulvérisant ses fragments de couleurs éthérées, au départ du pays des prières aux tapis immémoriaux, qui fera dire au poète Rainer Maria Rilke, en 1921 :

« Même si on ne m’avait pas dit qu’il jouait du violon, j’aurais pensé que souvent, ses peintures étaient des transcriptions musicales ».

Ami de l’auteur de « Ville arabe » (1905), Vassily Kandinsky, l’astre improbable se trouve être Paul Klée, un de ceux qui les inspirent et, comme lui, ils aiment à croire que les contraires s’allient, avec maestria, et derechef, chez eux, l’ironie et la dérision s’accordent avec les oxymores.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à croiser la grâce fière et humble de cet Algérien génial de Tunis, auteur-illustrateur de bande dessinée, avec son « 100% Bled. Comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur », création émouvante, s’il en est, par sa contribution à la pacification des regards.

Ils ne leur échappent pas que renonçant à la figuration pour passer à l’abstraction, Paul Klée influencé par l’expressionnisme, le surréalisme allant jusqu’au cubisme, verra le jour, en 1879, dans la période pleine dite de l’Art Moderne. (1)

Fermée par les nazis en 1933, la Staatliches Bauhaus, annonciatrice, entre autres, de l’art de la performance, aura tout de même eu dans ses rangs le singulier génie de la lampe d’Aladin qui exaucera, pour sa part, les vœux de l’enseignement aux trois cercles concentriques de Walter Gropius, fondateur et directeur de ce mouvement artistique phare, dans l’Europe de l’entre-deux-guerres.

Chacun d’eux sait, aussi, que Paul Klée mourra en 1940, au même moment où la période de l’Art Moderne décline et où la deuxième guerre mondiale fait rage. À la fin de celle-ci, voilà que vont poindre deux appellations d’origine contrôlée ; celle d’« Art contemporain » et celle de « Guerre froide ».

Chemin faisant, depuis la chute du mur de Berlin jusqu’au 14 janvier 2011, avec l’effondrement du régime dictatorial en Tunisie et les effets collatéraux du Printemps arabe, ils restent toujours foncièrement ouverts à toutes les formes d’expressions artistiques, post-Art conceptuel inclus, art contemporain, en tête, sans compromissions et sans surenchérir sur la polémique induite par Peter Osborne, en 2010.

Cependant, il réfute que l’art contemporain soit le représentant ultime de l’Art au contemporain ou pour ainsi dire celui de l’Art du Contemporain. De prime abord, ils n’adhèrent pas, que nenni, à la récusation du beau et ne veulent pas forcément s’affranchir de la considération esthétique. Cette mécanique ne procède pas de leur histoire. Talentueux, Jean-Jacques Mbiya, jeune artiste-peintre congolais de Tunis, auteur de « Mama Africa » prône, à l’envi, ce « retour à la conscience du beau ».

Il y a aussi cette culture locale, intergénérationnelle, interculturelle et intercontinentale, qui fait office, en lieu et place, de communautés s’éclairant de l’Autre et faisant société, sans contingences. Le duo Aymen Gharbi et Bettina Pelz, lumineux d’exemple, avec leur apport créatif à La Medina de Tunis, abritant Interférence, premier festival des lumières en Afrique, laisse pantois d’admiration. Ils invitent à s’investir dans la lumière comme matière et nouvelle forme d’expression d’un futur sans murs.

De surcroît, ils sont imperméables à la désensibilisation des foules par l’inaccessible ; et à la dévitalisation de l’émoi originel, même s’ils comprennent l’envergure de l’innovation qui se poursuit jusqu’à nos jours et qui part du Ready-made de Marcel Duchamp, comme sa « Roue de bicyclette » ou « La Tête de taureau » de Picasso.

Tout en passant, sans exhaustivité, par les minimalistes ou encore l’« Art conceptuel » qu’ils reçoivent comme défini seulement par le concept ou l’idée de l’art, ils ne sont nullement en sempiternelle opposition avec la définition admise de la beauté artistique déterminée par Emmanuel Kant et sa « Critique de la faculté de juger ». Ils sont bien ailleurs.

Acclimatés aux quatre angles quasi-mystiques du quadrilatère des tapis d’arts, insigne forme choisie, il y a des millénaires, par leurs matriarcales ascendances gouvernées par une mystérieuse cosmologie qui fut la leur, il leur plaît, ainsi, aisément, à se laisser aller à admirer le premier monochrome parmi les peintures contemporaines de la série Carré blanc sur fond blanc (1918), de Kasimir Malevitch.

Mieux, ils enseignent, avec admiration, l’« Art infinitésimal » (1956) de l’hyper-créatiste Isidore Isou, adepte de la poétique des sons et de la musique des lettres ; et captent l’intrigant, pour ne mentionner que ce nouveau réaliste, auteur des « Zones de sensibilité picturale immatérielle » qu’est l’autodidacte Yves Klein, pour qui la beauté préexiste, à l’état invisible, dans l’air ou dans la matière.

Plus encore, dans le même geste, habité par la dynamique des fluides et la culture ancestrale des vents, Vendavel, Levêche et Guebli en mémoire et toujours comme Paul Klée – qui, le 16 avril 1914, notera dans son Journal « La couleur me possède. La couleur et moi sommes un » – leur intelligence émotionnelle, en mouvement, est sans limite et, comme le peintre suisse-allemand, ayant créé plus de 10.000 œuvres, ils sont prolixes et agiles pour l’envol et l’élévation.

C’est que leur vision de l’art est comme en suspension, entre argile et ozone. Plutôt deux fois qu’une, passionnés par la légèreté, ils interrogent, sans querelle aucune, l’art contemporain et ses frontières. Ils se meuvent pour faire tomber les barrières. Au pis-aller, ils suggèrent le dépassement d’un art se voulant délibérément officiel et qui, inlassablement, ne cesse d’opérer une métamorphose aux tendances qui n’en finissent pas d’être élitaire.

Au même titre que Marianne Catzaras, onirique poétesse de la photographie, avec « L’éternité, un arbre », cette insulaire native de Djerba, élève d’Edouard Glissant, ils aspirent à la rencontre avec Autrui et aux « paysages du silence », soucieux du sort des exclus et de la Nature. Ils songent au vrai, au beau et au juste, entre réalité et imaginaire.

C’est qu’en effet, ils sont, au demeurant, interpellés par le fait qu’avec plus d’un milliard d’âmes, leur continent est officiellement le plus pauvre du monde. Là, sans coup férir, il y a le « Désert physique » que doit traverser, au quotidien, le nécessiteux à la marge de sa société mondialisée. Alors même qu’émotions nouées au corps, il désespère de cet art et de l’artiste mimétique de lui permettre l’accès au peu d’éblouissement, « cette révélation à laquelle il ne s’attendait plus », comme pourra l’escompter, quant à lui, le narrateur éprouvé, dans le sublime roman d’initiation en question, paru chez Denoël, en 1987, de l’écrivain de dimension que fût et demeure, à jamais, feu Alain Nadaud, inhumé en Tunisie.

Partant de cet obstacle à franchir, pour le bien-être des semblables, leur préoccupation première s’applique à se centrer autour de la personne humaine et de son accès aux forces libératrices de l’art, dans un contexte mondial troublant d’exclusions. Ils ne savent que trop que l’obscurantisme prospère dans le terreau du désespoir.

Conscient de cela, à Mdaïna, connu sous le nom d’Althiburos, un des plus beaux sites antiques de Tunisie, Ammar Belghith le peintre keffois, « aux trente chats », plante, en terre natale, son drapeau de la « réserve culturelle pour tous les artistes persécutés ». Après avoir pratiqué son art, en France, en Thaïlande et aux Philippines, il créera la première galerie hors cité, dans une grotte, en pleine nature, tout proche de l’Algérie. Concepteur de « l’infinitisme » ou la peinture de l’indéfini, comme lui, voués à l’authentique, ils innovent.

Se basant sur l’empirique, ils désirent confronter l’émotion du vif à la mémoire collective.

En réunissant dans les actes « L’illisible : Lieux et enjeux modernes et postmodernes », éminente universitaire rompue à la poétique et à la sémiotique, Hédia Abdelkéfi corrobore.

L’avènement de l’hyper-individualisme décrit dans « L’ère du vide : Essais sur l’individualisme contemporain » de Gilles Lipovetsky, s’inscrit dans l’émergence d’un abandon globalisée de nos sociétés à la désacralisation des valeurs qui sont happées par un vide idéologique, dû à l’affaiblissement du collectif, où le narcissisme contemporain contagieux s’enracine.

Ainsi, face à cette réalité poignante, la Tunisie des Arts, ne serait-ce qu’elle, et ses affins de fraternité continentale ne sont pas, particulièrement, enthousiasmés à être sous l’influence irréductible de ce qui se décide à Paris, à Londres ou le long de l’Hudson River, à New York, avec ses centaines de galeries du quartier de Chelsea.

Ils ne sont pas, le moins du monde, en confrontation avec la vision de Thierry de Duve, professeur de théorie de l’art pour qui la même logique prévaut entre art moderne, post moderne et contemporain.

Au demeurant, sont-ils interpellés, faut-il le souligner, par la question de l’être, comme Heidegger en 1949, avec son essai intitulé « Chemins qui ne mènent nulle part », dans Holzwege qui, dans un supplément ajouté en 1960, écrira :

« La méditation sur ce qu’est l’art est entièrement et décisivement déterminée par la seule question de l’être. L’art n’est pas pris comme domaine spécial de réalisation culturelle, ni comme une des manifestations de l’esprit. L’art advient de la fulguration à partir de laquelle seulement se détermine le “sens de l’être” ».

Ainsi, sont-ils dans l’adsorption de l’idée qu’entre couleur et parole, l’être est émotion complexe et pluralité du langage. La stylistique renouvelée, le métissage artistique, l’utilisation des nouvelles technologiques aux fins de médiatisation, ils connaissent.

De plus, ils ont tout aussi le goût des traditions simples avec lesquelles ils s’abstiennent de rompre, à telle enseigne qu’ils font acte d’humilité et de reconnaissance envers leurs maîtres de l’art. Personne n’est parfait. Nul doute, ils sont adaptés à appréhender le monde contemporain, sans rien évacuer des us et coutumes qui structurent leur chaleur créatrice, là où ils se trouvent.

Car l’Afrique est partout, là-bas et ici à la fois, ainsi que dans les cœurs, en eurythmie, comme celui de la poétesse, musicienne et chanteuse, Lynda Thalie, Canadienne d’origine Algérienne, à la recherche des secrets oubliés, respiration africaine qui défie « tous les contraires, étonnamment solide comme du roc », telle que qualifiée par Michaëlle Jean, Secrétaire générale de la Francophonie. À l’instar de cet auteur de « L’Amour chemin faisant », cette voix de miel qui « fait fondre les frontières », ils sont « ces endroits archéologiques, mythiques et sacrés ».

Finalement, coriaces, difficile de les pousser à mignoter une vision à la peau dure, fusse-t-elle parsemée de gracieux grains de beauté ; et de les faire passer de l’hypnose à l’envoûtement pour un dogme sans subtiles fragrances et sans humanisme, aspirants qu’il sont à s’ancrer au port de la diversité, du maillage et du « Lyannaj », créolité oblige.

Samia Kassab-Charfi, brillant auteur francophone d’« Altérité et mutations dans la langue », confirme, à propos, que l’époque est sujette à l’hybridation des cultures par l’expérimentation stylistique vécue et la poétique métamorphique de la langue.

Quant à elle, Colette Fellous, cette autre femme de lettres de talent, éclaire de son bleu & blanc tunisois, avec « La Préparation de la vie » et son retour aux sources qui aura fini par ramener au pays le fruit de ses expériences brassées, elle qui, disciple de Barthes, sait que « Le maître ne donne jamais aucun ordre, il donne juste le désir, l’élan ».

De toute évidence, sont-ils les obligés du désir ardent et de l’élan magique de la création qui parle à leur imaginaire flottant, en ses quatre points cardinaux, dans les effluences de leur Afrique. L’esthétique, la diversité thématique et la perspicacité stylistique y est à l’œuvre ; et de surcroît, y est solennellement célébrée.

Pour preuve, dans « Épîtres sur la symétrie : Lecture d’œuvres de Samir Triki », paru en 2016, la communauté des Arts, de l’autre côté de la Mare Nostrum, reconnaîtra légitimement un de ses illustres pairs qui dira « Si je n’étais pas plasticien, je serais architecte »; et ce, pour « ses recherches en esthétiques », tirées de son corpus d’art plastique aux couleurs modernistes et à l’innovation manifeste.

Dans la même veine, toujours multidimensionnels, pour ce qui est de la critique d’arts ou le développement du secteur culturel, ils sont face au défi d’y remédier sans, nécessairement, attendre, ex-cathedra, l’État et ses politiques qu’ils ne critiquent plus autant. Ils ont appris à prendre de la hauteur. Avisés, conscience en éveil, ils sont à l’heure de leur responsabilité sociétale (RSE).

Pour eux, ce n’est qu’une question de stratégie et de temps ; au même titre que pour les galeries d’arts ; et, pour n’évoquer que celles de Tunisie, si elles ne sont pas légions, leurs créations sont le fruit de l’opiniâtreté de téméraires résolus.

Épris, ceux-ci sont trempés dans l’apologie du beau et l’éloge de l’émotion. Encore s’agit-il, pour cela, de se rendre, par exemple, à la perle du Sahel, et de jeter un œil bienveillant à la galerie d’arts plastiques « El Birou », née de la détermination d’un Karim Sghaier méritant.

Plus au Nord, à Tunis, d’autres forces vives et collectionneurs du monde des Arts, osent la particularité, avec brio. C’est le cas de la galerie « Musk and Amber », où une atmosphère magnanime et raffinée sévit, sous le sceau de l’élégance de Lamia Bousnina Ben Ayed.

Enfants de leur siècle, nés pour la plupart entre la période des années 50 et le début des années 70, attentifs à la relève du continent, ils sont vigilants face à toute tentative de division entre générations, conditions sociales, opinions, orientations, genres ou encore entre territoires.

Dans cet esprit, la photographe Mouna Jemal Siala, administrant le remède par les solidarités actives, avec son admirable ouvrage-photo « Non à la division », recherchant l’expérience de l’aventure artistique, participative et interactive avec les individualités et « marquer l’intimité et la complicité qui caractérisent les liens, désormais existants », entre les transfigurés.

Lui aussi, subtil travail, « Crois en toi, et plante ton rêve… », à la signature Land Art, de l’artiste visuel, en vogue, Houda Ghorbel, avec une installation dans la nature aride, réalisée, elle aussi, avec la justesse du solidaire des lendemains, où sa force artistique s’adonne à une invitation ouverte au commun des mortels à imaginer que tout « rêve pourrait naître même dans les terres les plus stériles », si les moyens d’exister lui sont offerts.

Nonobstant, ils s’accordent avec « Ce qui n’a pas de prix » d’Annie Le Brun, ouvrage édifiant paru chez Stock, le 16 mai 2018, coïncidant avec la première Journée internationale du Vivre Ensemble en Paix adoptée, à l’unanimité, le 8 décembre 2017, par l’Assemblée Générale des Nations Unies, à New York, sous le Leadership altruiste du Sheikh Khaled Bentounes, maitre spirituel algérien d’un ordre soufi centenaire, au service de la paix et de la fraternité.

Fermeté oblige, Le Brun martèle, qu’« il y a à travers l’art contemporain une guerre généralisée, omniprésente, concertée, contre tout ce qui échappe à sa commercialisation », au sein d’une époque d’hyper-marchandisation et de montée en puissance de la Chine, dans un contexte où la planète de l’art contemporain s’est davantage mondialisée, avec prégnance inéluctable dans d’autres zones territoriales, telle l’Afrique.

Jusqu’ici préservé ce continent aura été témoin que près d’un demi-siècle se sera écoulé, de la première guerre mondiale aux années 60 ; du voyage initiatique, dans la pure tradition des peintres-voyageurs, de Paul Klée, artiste essentiel du XXème siècle – qui séjournera 12 jours en Tunisie, jusqu’au 19 Avril 1914, en compagnie d’August Macke et Louis Moilliet – à la rencontre de deux révolutions. Celles de l’Art moderne et de la Phénoménologie, en 1958.

Précisément, dix ans avant mai 68, après avoir médité la pensée chromatique du maître aixois, se trouvant à Aix-en-Provence, Heidegger affirmera, à cette date « J’ai trouvé ici le chemin de Paul Cézanne auquel, de son début jusqu’à sa fin, mon propre chemin de pensée correspond d’une certaine manière ». Le phénoménologue trouvera en la personne du peintre le dépassement de la métaphysique, si cher à sa spéculation philosophique.

Alors à la démarche assurée et dodelinante, forts de ceci et de cela, lucides, ils n’ont pas fini de marcher, en empruntant le pont de la Beauté de leur temps, ici et maintenant, considérée au présent, non pas comme fardeau d’un impératif esthétique pesant, mais comme moyen de contournement du fleuve du mortifère et de l’anéantissement des embellissements du monde. En outre, après avoir caressé les frontières, celles-ci seront bientôt franchis. Ils se donnent rendez-vous, victorieux sensibles, à Dakar en 2020.

Telle la tortue rayonnée de Madagascar, ils portent des étoiles en rais sur leurs robustes carapaces et marchent à pas pénétrants, sourires juvéniles et discrets aux lèvres, fredonnant l’hymne de vie du présent sans âge.

Féaux, du couchant violâtre d’amour, apaisant, sans retour, à l’aube bleuté du désir, satisfaits du peu, ils ont fait serment de veiller, à tour de rôle, jusqu’au seuil des aurores orangées, pour le réveil du soleil endormi, en cognant à sa porte jaune, couleur Sidi Bousaid. Bientôt, au plus proche, ils danseront avec les Gnaouas du Maroc, avant la prochaine éclipse de Lune ou encore le Boubou, de Sekou Keïta, face aux festivaliers sur le Niger, aux portes du printemps, à Ségou, au pays du grand Mamou Daffé.

« Straight from the horse’s mouth », pour parler franc, le tenant directement de la bouche du cheval, aussi feront-ils d’abord escale à la galerie « El Yasmine » de Lyes Khelifati, à Alger la Blanche, avant le solstice d’hiver, pour que le Stambali tunisien communie avec le Diwan algérien, leurs étoffes poétiques épouties des pesanteurs et pétries de « jasmin et de paprika, de rose et de curry, d’ambre et de safran », comme « Robe-Peau », du délicat artiste-scénographe Wadi Mhiri, et ; en ayant foi, avec Edgar Morin, en ce truisme de beauté ravivée que « la reliance implique que l’on retrouve quelque chose de perdu, potentiellement présent ».

(1) Exposition PAUL KLÉE – Du 16 novembre 2018 au 17 mars 2019 – Musée des beaux-arts du Canada (MBAC).

« Une première en près de 40 ans, le musée présente des œuvres de Paul Klee (1879-1940) provenant de la collection Berggruen Klee du Metropolitan Museum of Art, la deuxième collection d’œuvres du peintre et dessinateur moderniste suisse-allemand en importance dans le monde. L’expo présentera 75 dessins, aquarelles et huiles qui illustrent des aspects de sa carrière et de son monde intérieur ».

MBAC, 380, promenade Sussex, Ottawa.

Source : http://mi.lapresse.ca

Me Mohamed Benkhalifa, PhD,
Politologue, avocat et expert international auprès des Nations Unies, Coach certifié ICF (PCC),
Président du Cabinet MBC INC.
Département Droit des Arts, du Divertissement et des Communications.
http://mbcinc-law.com

 

QUÉBEC 2018 – CAMPAGNE ÉLECTORALE

 

AUTOUR du 6e Gala du Vivre-Ensemble:

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